Pour une histoire élargie de la télévision
Résumé
Ce Living Book a plusieurs objectifs. Il vise d’abord à montrer la fécondité des recherches sur un objet, la télévision, encore en quête de légitimité académique et institutionnelle. Il entend ensuite mieux faire connaître et prolonger un renouveau historiographique observable depuis une quinzaine d’années : en ce sens, notre ambition est de poser les fondements d’une histoire élargie de la télévision au croisement de l'archéologie des médias, d'une perspective intermédiatique et d'une analyse globale de la vision et de la communication à distance.
Fruit du projet «Au-delà du service public. Pour une histoire élargie de la télévision en Suisse» financé par le Fonds national suisse et codirigé par les deux auteur.e.s, François Vallotton et Anne-Katrin Weber à l'Université de Lausanne, cette démarche a nourri trois thèses de doctorat et un site web qui a notamment obtenu le Prix Memoriav 2020. L'anthologie proposée permet aussi de revenir sur le contexte historiographique et théorique qui a servi de toile de fond à la réflexion commune. Un long papier introductif propose ainsi un bilan critique des études télévisuelles en Suisse. Quant à l'anthologie proprement dite, elle se veut un vade-mecum que l'on espère précieux pour toute personne travaillant ou enseignant dans le domaine de l'histoire des médias.
Introduction
Emblème de la société de consommation pour certains, vecteur d’une nouvelle ère dans l’histoire des communications pour d’autres, la télévision a conquis une place de choix au sein des pratiques culturelles mais aussi du discours historique se rapportant à la deuxième moitié du XXe siècle. Depuis quelques années toutefois, le medium connaît une transformation spectaculaire tendant à brouiller la définition assez circonscrite qu’elle a pu développer pour le public comme pour l’analyste : le dispositif domestique incarné par la métaphore de la « lucarne sur le monde » a fait place à la démultiplication des supports de distribution et des formes de consommation, nomades ou fixes, en tout temps et à la demande ; par ailleurs, l’évolution récente de la télévision a modifié en profondeur ses modes de production, les acteurs politiques et économiques associés à celle-ci, tout comme ses programmes, et plus largement, son esthétique1.
Cette nouvelle configuration change le regard porté sur le « petit écran ». Dans le discours public, on parle de la disparition du média ou de sa dissolution en lien avec la convergence numérique de la production d’une part, une offre de plus en plus fragmentée, consommée individuellement, d’autre part2. Dans le discours scientifique, ces transformations très rapides tendent à faire porter l’analyse historique sur des logiques de rupture et d’altérité radicale. À titre d’exemple, la spécialiste américaine des médias Amanda Lotz consacre un ouvrage en 2007 sur la « révolution télévisuelle »3. Reprenant l’opposition canonique d’Umberto Eco entre paléotélévision et néotélévision – « télévision de l’offre » versus « télévision de la demande » pour faire vite – Lotz décrit les transformations du média à partir des années 1950 en trois mouvements, chacun renvoyant à un ensemble de technologies et de modes de réceptions particuliers. Ainsi, les années 1950-1980 – l’ère de la « network TV » aux États-Unis – sont caractérisées par la diffusion télévisuelle de programmes, limités quantitativement comme temporellement, à destination d’un public de masse. Les années suivantes jusqu’en 2000 voient l’émergence de la « multichannel TV » qui, grâce aux nouvelles technologies telles que le satellite et le câble, élargit le choix des contenus et permet une programmation de niche. Le troisième « âge » de la télévision – celui du tout numérique et de la convergence médiatique – fait définitivement éclater les définitions traditionnelles d’une télévision qui, désormais, se trouve partagée entre plusieurs plateformes et technologies. D’après ce modèle, l’histoire de la télévision peut être décrite comme l’évolution graduelle d’un média à contours fixes (la télévision du service public dans le salon familial) à un média géré par de multiples fournisseurs de contenus, dispersé sur nos téléphones portables, ordinateurs et autres récepteurs.
Opératoire pour l’esquisse rapide des changements récents, ce récit de la télévision en trois temps est remis en question par les travaux qui soulignent l’instabilité continuelle de la télévision. Pour eux, la perspective historique révèle justement un média en constante transformation, dont la stabilité économique et technologique des années de l’immédiat après-guerre équivaut à une exception plutôt qu’à une norme4. La présente anthologie entend contribuer à cette discussion historiographique en soulignant la complexité et la diversité des systèmes télévisuels bien au-delà de la distinction traditionnelle entre organismes privés et institutions de service public. Elle souhaite également tenir compte d’une nouvelle périodisation du médium qui ne débute plus, dans de nombreuses synthèses récentes, avec les premiers essais de l’Ecossais John Baird mais situe l’apparition du dispositif au sein d’une histoire de plus longue durée des différentes formes de transmission à distance, et cela dès le dernier tiers du XIXe siècle5. Tout en privilégiant des approches et des regards disciplinaires complémentaires, notre sélection a pour dénominateur commun la mise en dialogue d’éclairages historiquement et méthodologiquement fondés, visant à déconstruire l’image d’un média monolithique ou à l’évolution linéaire et homogène.
Afin de penser la flexibilité du médium télévisuel dans une perspective historique, nous mobilisons la notion d’histoire « élargie » de la télévision. Comme nous l’exposons ci-dessous, cette notion nous permet de penser une histoire intégrative du médium, à savoir une histoire attentive aux marges des institutions télévisuelles, aux échanges intermédiatiques et aux transformations continuelles des pratiques et technologies. Contrairement aux notions de « post— » ou « néo— » télévision, la notion de télévision « élargie » ne postule pas une consécution de modèles médiatiques mais souligne la nécessité historiographique et méthodologique de penser la télévision en-dehors des champs qui lui ont été traditionnellement assignés, celui du mass media, du service public ou encore du cadre de réception domestique.
Cette explicitation conceptuelle est à relier à un projet de recherche financé par le Fonds national suisse intitulé Au-delà du service public : pour une histoire élargie de la télévision en Suisse que nous avons codirigé de 2016 à 2021. La focale sur le champ audiovisuel suisse devait permettre d’expérimenter concrètement une approche qui voulait prendre ses distances avec l’histoire institutionnelle et des programmes afin de mettre en lumière les multiples appropriations de la technique télévisuelle par des acteurs situés en marge ou en dehors du service public. Trois volets, pris en charge pour chacun d’entre eux par un·e doctorant·e., constituent autant d’approches au sujet : la dimension technique qui met l’accent sur l’impact des nouvelles formes de distribution, en l’occurrence le satellite, sur la reconfiguration du paysage médiatique ; la dimension sociale à travers la professionnalisation du métier de réalisateur·trice et la cartographie de parcours individuels qui circulent entre service public et entreprise privée, projets télévisuels et cinématographiques ou encore entre productions nationales et internationales ; enfin l’analyse de discours à travers une exploration des mises en scènes de la télévision par elle-même dans un contexte de libéralisation de l’audiovisuel et d’élaboration d’une politique des médias au niveau fédéral. La notion d’« histoire élargie de la télévision » est mobilisée sur ces trois niveaux avec, pour chaque axe, l’invitation à intégrer des acteurs marginaux ou des initiatives avortées ; de la même manière, les sources archivistiques dépouillées dépassent très largement le périmètre de la télévision régionale et nationale.
Faire l’histoire de la télévision : une démarche en quête de légitimité
En dépit d’avancées assez importantes au cours des dernières années et des situations dissemblables entre champs nationaux, l’histoire de la télévision a longtemps souffert d’un déficit de légitimité au sein du monde intellectuel, et plus spécifiquement académique. Historiquement, l’intérêt pour cet objet a d’abord émergé à partir de l’anxiété qu’elle a généré6. Ainsi, en Grande-Bretagne, James Halloran, alors actif dans la formation continue pour adultes, est invité par le Secrétariat d’État à l’Intérieur à développer au début des années 1960 une expertise critique sur les effets du média sur la délinquance juvénile. Ce travail – qui relativisera fortement cette influence – donnera lieu à la création du Centre de recherche sur la communication de masse de l’Université de Leicester. Parallèlement, il faudra l’essor des Cultural Studies, autour notamment de l’Université de Birmingham, ainsi que des études féministes, pour sortir les médias de grande consommation de l’ostracisme académique dont elles étaient victimes. Cet intérêt pour les pratiques populaires d’une part, la mise à distance d’une analyse de la culture de masse en termes d’aliénation et d’acculturation d’autre part, représentent une borne majeure au sein du champ des études médiatiques et culturelles ; les considérations toutefois très dépréciatives des industries culturelles, sous la plume d’un Richard Hoggart notamment7, vont contribuer à durablement associer un média comme la télévision à une production de moindre valeur dont la seule ambition et de capter l’attention au nom de logiques commerciales et publicitaires. Une critique que l’on retrouve avec une force toute particulière dans les deux cours – télévisés ! – de Pierre Bourdieu au Collège de France publiés sous le titre Sur la télévision8.
Cette stigmatisation de la télévision – relativement commune aux médias de grande consommation, comme en attestent les exemples des comics ou plus récemment des jeux vidéo – est renforcée par son statut initial de média familial qui l’associe généralement à un public féminin. Ce dernier, en conformité avec la représentation dominante des rapports sociaux de sexe, ne peut être séduit que par des productions mineures sur le plan culturel alors que la télévision est vue comme porteuse de caractéristiques propres à toucher et s’adapter à cette audience spécifique : elle tend à favoriser une écoute distraite et intermittente, compatible avec l’exercice des tâches domestiques, et à proposer des programmes où se mêlent divertissement et publicité. Il faudra de nombreuses années, et l’émergence d’une nouvelle historiographie féministe, pour sortir ces productions, souvent abusivement qualifiées de féminines, du ghetto dans lequel elles avaient été reléguées et pour faire valoir les réceptions très hétérogènes, et bien moins passives qu’on n’a voulu le dire, de ces programmes9.
Pour toutes ces raisons, la télévision n’a pas rencontré le phénomène d’artification10 qu’a connu le cinéma en accédant au statut de « septième art ». Certes, la notion de « huitième art » englobe – pour les rares qui s’en souviennent – les « arts médiatiques », soit la radio, la télévision et la photographie. Toutefois, le « petit écran » subit la domination symbolique du « grand » : l’image est de qualité inférieure ; elle n’offre pas le même niveau d’attention que celui exercé par le contexte magnétique de la projection en salle ; sa définition, partiale et partielle, de média du direct souligne davantage ses capacités d’enregistrement de la réalité et sa charge émotionnelle que sa dimension artistique. Quelques publications ont bien tenté de mettre en lumière certaines démarches atypiques incarnées par des figures consacrées : celle d’un Jean-Christophe Averty intégrant la télévision au champ de l’art moderne ou encore d'un Jean-Luc Godard via son recours à la vidéo11. La dimension expérimentale et innovante de la télévision, attestée notamment par les travaux de Gilles Delavaud ou de Guillaume Soulez dans le champ francophone, n’a toutefois pas suffi à imposer le terme de « téléphilie» dans le langage courant. Ceci s’explique notamment par l’absence de relais propres à contribuer à la légitimation sur la durée de la production télévisuelle, comme en atteste la disparition du mouvement, aussi précoce qu’éphémère, des télé-clubs12. En opposition à cette tendance dominante, on mentionnera toutefois la recrudescence des travaux sur les séries télévisuelles et la Quality TV, une notion qui recouvre des déclinaisons différentes suivant les contextes télévisuels mais qui a le mérite, dans la littérature scientifique, de mettre à jour la construction de la valeur tant au niveau des diffuseurs que des programmes13.
La Suisse n’échappe pas à ce contexte général. L’institutionnalisation des études (historiques) sur la télévision y reste limitée, et ceci malgré le fait que la télévision et la vidéo deviennent, avec l'avènement du magnétoscope mais plus généralement avec l'équipement audiovisuel des salles et auditoires, un complément pédagogique abondamment mobilisé dans l'enseignement14. Outre la question des archives sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir, deux facteurs peuvent contribuer à expliquer le déficit de réflexion scientifique historique sur la télévision. Comme dans plusieurs pays voisins, les études télévisuelles ont été principalement le fait d’autres disciplines, à commencer par la sociologie et, dans le domaine germanophone, par les Medienwissenschaften qui prennent leur essor dans la décennie 1980. Si l’on ajoute à cela la grande frilosité des historiennes et historiens à aborder en Suisse l’histoire post 1945 jusque dans les années 1990, on comprend que l’étude des médias électroniques n’aient pas engendré un vif intérêt de la part des institutions académiques. Une deuxième explication est liée au caractère peu développé de l’histoire des communications et des médias. Comme l’a montré Peter Meier dans un numéro thématique de la Revue suisse d’histoire consacrée aux médias, ce champ reste peu institutionnalisé en Suisse : si les sources médiatiques sont convoquées avec plus ou moins de régularité, les réflexions sur l’émergence et le développement des médias, les réflexions méthodologiques dans ce domaine comme les approches dépassant la perspective monographique sont rares15. La situation à la fin du XXe siècle pouvait toutefois laisser augurer un tournant prometteur. En 1989, Yves Collart, professeur à l’Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, crée en son sein le Centre d’historiographie et de recherche sur les sources audiovisuelles (CHERSA) qui fait une place toute particulière à la télévision. On retrouve Collart en 1994 parmi les animateurs d’une journée d’études de la Société suisse d’histoire consacrées à la question de la conservation des sources audiovisuelles : elle précède la création de l’Association Memoriav qui, dès 1995, fédère un réseau d’institutions intéressées à la préservation et valorisation des archives dans les domaines de la photographie, du son, du film et de la vidéo. Il faudra attendre toutefois plusieurs années encore pour que cette première brèche produise des effets durables. Le CHERSA ne trouve en effet ni successeur ni continuité institutionnelle après le départ à la retraite d’Yves Collart. Un pôle sur l'histoire de l'audiovisuel se développe progressivement au sein de la Faculté des lettres de l'Université de Lausanne qui peut s'appuyer notamment sur des synergies importantes entre les sections d'histoire et de cinéma16. Le projet « Pour une histoire élargie de la télévision » en est l'une des traductions.
Écrire l’histoire de la télévision : de l’objet commémoratif à une histoire élargie
Au vu de ce qui précède, il n’est dès lors pas surprenant que l’historiographie de la télévision en Suisse apparaisse comme quelque peu anémique ; un bilan que traduit également la faible institutionnalisation des Television Studies sur le plan académique puisque aucune chaire n’est actuellement dédiée à ce médium. Pendant longtemps, la majorité des publications historiques sont issues de commémorations ou anniversaires divers proposant une chronologie des « grands » moments de la télévision17. Souvent rédigés par des acteurs proches de la SSR et profitant d’un accès aux sources iconographiques de l’institution qui permettent d’illustrer les événements majeurs, ces publications contribuent en premier lieu à la mémoire du service public rappelant aux lectrices et lecteurs leurs (premiers) souvenirs de téléspectateurs. S’inscrivant dans une histoire institutionnelle et, en l'occurrence, régionale, les ouvrages tels que Show - Information – Kultur. Schweizer Fernsehen von der Pionierzeit ins moderne Medienzeitalter18, « 50 Jahre Schweizer Fernsehen » : Chronik : Hauszeitung von SF DRS19 ou La TSR a 50 ans : album de famille : 1954-200420 réunissent les moments clés de l'une des entités d'entreprise, en omettant toutefois une contextualisation nationale ou internationale. On soulignera cependant l’heureuse exception constituée par l’ouvrage Voce e Specchio. Storia della radiotelevisione svizzera di lingua italiana qui, tout en privilégiant la focale régionale, inscrit cette histoire dans un contexte médiatique et historique beaucoup plus large21.
Sur un ton davantage « intimiste », les écrits (auto-)biographiques de personnalités de la radio-télévision révèlent des trajectoires individuelles ayant marqué l’histoire de l’audiovisuel en Suisse. Le portrait de Roger Schawinski (Einer gegen Alle : das andere Gesicht des Roger Schawinski et Wer bin ich ?22), ceux de Raymond Vouillamoz23 ou de Leo Fischer, initiateur du premier réseau de câble suisse (Leo Fischer : die Erinnerungen des Schweizer Kabelfernsehkönigs24) permettent certes de reconstituer certains aspects de l’histoire télévisuelle nationale ou régionale, mais manquent de la rigueur scientifique et d’une problématisation approfondie qui caractérise les études académiques.
De leur côté, les recherches réalisées depuis le milieu des années 1980 au sein des différents instituts suisses des sciences de la communication et des médias ont nourri une abondante littérature grise majoritairement tournée vers l’analyse politique et sociale des effets, significations et fonctions de la communication de masse. Ces études privilégient les approches sociologiques du paysage médiatique contemporain, et se focalisent davantage sur une analyse systémique que sur des approches historiques. Ainsi, Medienlandschaft Schweiz im Umbruch. Vom öffentlichen Kulturgut Rundfunk zur elektronischen Kioskware, coécrit par Werner A. Meier, Heinz Bonfadelli et Michael Schanne et inscrit dans le grand projet national (PNR21) « Pluralisme culturel et identité nationale »25, offre une vue d’ensemble du paysage médiatique suisse quelques années après la mise en place de l’ordonnance sur les essais locaux de radiodiffusion de 1982 qui mènera à l’abolition du monopole de la SSR en matière de diffusion des programmes radio et télévision. Conçu comme une contribution scientifique au débat contemporain sur les liens entre service public et identité culturelle, l’ouvrage est orienté vers un bilan pragmatique des politiques médiatiques en Suisse incluant la SSR et les « nouveaux médias » (radio privée, satellite, télévision à péage). Ce travail inaugure plusieurs recherches, souvent comparatistes, sur la spécificité du paysage audiovisuel helvétique ainsi que sur les modalités de sa libéralisation26.
Publiée sous l'égide de l’Institut für Publizistikwissenschaft et Medienforschung de l’Université de Zurich en 1998, le volume Fernsehen DRS : Werden und Wandel einer Institution inaugure une première introduction à l’histoire de la SSR27. Sous-titré Ein Beitrag zur Medienhistoriographie als Institutionsgeschichte, cet ouvrage se réclame explicitement de la méthodologie historique, mais limite son analyse – à l’instar de la majorité des ouvrages « grand public » – au développement de la télévision institutionnelle régionale, en l’occurrence suisse allemande. Une borne marquante sera surtout constituée par le lancement d'un vaste projet de recherche national qui débouche sur la publication de l'ouvrage collectif La radio et la télévision en Suisse : histoire de la Société de radiodiffusion SSR28. Initié par le directeur général de la SSR de l'époque, Antonio Riva, ce projet se démarque par son ampleur – trois volumes constituant une somme de 1'000 pages, une recherche s'échelonnant sur presque 20 ans –, sa capacité à fédérer un réseau pluridisciplinaire de chercheuses et chercheurs en provenance de toutes les régions linguistiques du pays ainsi que par la totale liberté intellectuelle dont ont bénéficié les auteurs. Au-delà de la synthèse proposée, ce vaste chantier sera étroitement lié à un programme de classement et de numérisation des archives papier et iconographiques du service public. Sur le plan de l'organisation des volumes, le principe chronologique privilégié au sein du premier volet fait place ensuite à une approche thématique qui voit la perspective institutionnelle irriguée par des regards transversaux sur le développement technique, les liens avec le politique, les enjeux culturels ainsi que – grâce à l'exploitation des sources audiovisuelles dont la numérisation avait débuté en parallèle29 – l'histoire des programmes et des représentations. En ce sens, et conformément à une tendance historiographique plus générale sur le plan international, l'ouvrage entend articuler une « histoire des médias » à une « histoire par les médias »30 démontrant les potentialités des sources audiovisuelles pour une histoire sociale, politique et culturelle de la Suisse. L'histoire de la SSR est par exemple un observatoire privilégié pour l'analyse du néolibéralisme et de ses effets sur le démantèlement du service public. Plus largement, et comme l'ont montré de nombreuses études récentes, l'histoire de la télévision est un vecteur fascinant pour penser la construction et la recomposition des rapports de genre à travers l'analyse des programmes mais aussi celle de la réception et des pratiques de consommation31 : l'intérêt porté aux aspects de la quotidienneté télévisuelle fait ressortir son caractère ambivalent qui voit cohabiter aussi bien le renforcement de valeurs patriarcales que des stratégies d'évitement et de résistance.
Cette première tentative d'« histoire élargie » trouve toutefois ses limites dans la définition normative du medium télévisuel, réduit à un mass media domestique et structuré par le service public. Il faut par conséquent mentionner d'autres travaux, en l'occurrence trois thèses récentes, qui ont été, pour le cas suisse, des jalons majeurs dans le changement de paradigme que nous entendons illustrer par cette publication. On mentionnera en premier lieu la recherche de Caroline Meyer consacrée à l'Eidophor, un dispositif de projection de l'image télévisuelle en circuit fermé et sur grand écran32. L'Eidophor incarne une autre dimension du télévisuel, moins orientée sur la production de programmes que vers des usages pédagogiques et la retransmission de grands événements. Il est développé par l'EPFZ avant d'être commercialisé par l'entreprise pharmaceutique bâloise Ciba : connaissant de multiples rebondissements, le procédé sera encore utilisé jusque dans les années 1990. Il témoigne du rôle de la Suisse dans le développement d'une télévision alternative au service public à la fois en termes de dispositif technique, de diffuseur et de destinataires.
La thèse de Dominique Rudin porte pour sa part sur la scène alternative et son utilisation de la vidéo, principalement dans le cadre des révoltes des jeunes à Zurich en 198033. Cette mise en lumière de cette production collective, qui se présente bien souvent comme un refus de la télévision officielle, recouvre un champ de recherche, assez bien balisé dans le cadre de la Guerrilla Television américaine ou sur l'idée de télévision communautaire dans d'autres réalités nationales, mais qui restait jusqu’ici dans l'ombre en Suisse34. Elle ouvre des perspectives nouvelles liées à la fois au nouveau mode de production associé à la vidéo légère et à l'élaboration d'une démarche critique conférant aux médias un nouveau rôle, dans l'observation sociale d'abord, et par la réappropriation audiovisuelle par des non professionnels ensuite.
Troisième démarche participant de cette « histoire élargie », la thèse d'Anne-Katrin Weber sur les expositions de télévision de l'entre-deux-guerres, dont la publication est prévue début 202235. Déjà éditrice d'un collectif remarqué – La télévision, du téléphonoscope à YouTube36 – qui traduit le renouvellement des approches et la dilatation chronologique des études sur la télévision, la chercheuse propose ici un autre « pas de côté » : de la réflexion sur la définition du média, on passe à l'analyse de ses lieux de diffusion et d'expérimentation par un large public. L'exposition constitue à ce titre un observatoire pertinent, au même titre que l'espace des musées, des écoles ou encore du grand magasin. Au-delà de l'approche comparative sur les trois espaces constitués par l'Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis, la thèse montre le rôle essentiel de l'exposition dans l'invention d'usages différenciés, non encore majoritairement orientés sur le visionnement domestique. Cette focale sur les modes d'appropriation et de consommation a une vertu heuristique qui dépasse le cadre géographique et chronologique privilégié : elle invite à une prise en compte de dispositifs et de prototypes négligés tout en mettant l'accent sur une histoire des possibles en claire rupture avec l'histoire des médias, finaliste, traditionnelle.
Au niveau international, un champ émergeant du renouvellement des recherches télévisuelles se dédie à l’histoire de la télévision industrielle et des systèmes télévisuels en circuit fermé. S’inspirant notamment de l’historiographie autour du « cinéma utilitaire », ces travaux analysent l’emploi de la télévision dans les domaines de l’industrie, de la science, de la recherche, de l’armée ou encore de la médecine37. Ils montrent que, parallèlement à l’essor définitif de la télévision comme mass media domestique dans l’après-guerre, celle-ci est conçue également sur le modèle d’un circuit fermé qui relie caméra et récepteur dans une boucle audiovisuelle. Cette CCTV (pour closed-circuit television) ou télévision industrielle est le résultat de recherches militaires menées durant les années 1940. Sa technologie répond à des exigences telles que la simplification et la miniaturisation qui accroissent son adaptabilité ; son champ d’application englobe l’automatisation de processus de fabrication industrielle, mais également la gestion du trafic routier, la rationalisation de systèmes d’information dans les bibliothèques, ou encore la surveillance d’espaces intérieurs et extérieurs. En tant que dispositif hautement flexible, utilisé dans des cadres non-domestiques, et à des fins allant des objectifs militaires à des visées éducatives, le circuit fermé illustre parfaitement la nécessité – et l’urgence – d’écrire une histoire élargie du média télévisuel.
Désenclaver l’histoire de la télévision, repenser la boîte à outils
En d’autres termes, une histoire élargie de la télévision vise non seulement à étudier les configurations les plus exploratoires du médium télévisuel, mais également à envisager des déplacements qui concernent à la fois la périodisation et la définition même de l’objet étudié. Ainsi, porter notre regard sur une histoire élargie de la télévision nous invite à être attentif aux multiples transformations qui, historiquement, caractérisent le médium et à construire une analyse circulant entre le centre et les marges de son objet. Par conséquent, les contributions de cette anthologie font voir l’histoire « d’un média éclaté »38.
Cette histoire élargie de la télévision peut s’appuyer sur des travaux récents sensibles à un renouvellement méthodologique ; deux champs de recherches ont été particulièrement précieux pour notre réflexion. Premièrement, l’archéologie des médias et ses multiples ramifications dans le paysage académique anglo-saxon et germanophone offre une invitation à explorer des objets hétérodoxes, voire oubliés de l’histoire médiatique. Allant à l’encontre des histoires technologiques et institutionnelles basées sur une notion linéaire d’« évolution » et de « progrès », l’archéologie des médias explore les marges des médias de masse « traditionnels » – la radio, le cinéma, la télévision – et rend attentive aux multiples expérimentations et autres développements ratés ou éphémères39. Insistant sur les « non-dits » et les « non-vus » de l’histoire médiatique, l’approche archéologique rappelle la flexibilité technique, économique et culturelle du média en englobant non seulement les machines, mais également les discours et les imaginaires dans son analyse. Dans le domaine du télévisuel, un nombre non négligeable de travaux peuvent être associés à une archéologie des médias, même si leurs auteurs ne revendiquent pas toujours cette filiation40.
Ensuite, la notion de dispositifs de vision et d’audition fournit un outil heuristique puissant pour une étude fine des multiples applications télévisuelles. Les propositions de François Albera et Maria Tortajada en particulier ont permis d’établir un pôle de recherche, internationalement reconnu, qui réunit des chercheuses et chercheurs issu-e-s des Cinema et Media Studies41. Définie comme schéma conceptuel articulant technologie, utilisateur-spectateur et contenu médiatique, la notion de dispositif permet d’appréhender les multiples configurations d’un média aux trois niveaux matériel, textuel et culturel ; elle est également attentive à la dimension épistémologique des médias en tant que producteurs d’un savoir (audio)visuel. Tout en offrant un cadre d’analyse rigoureux, elle permet de penser ensemble des formes médiatiques a priori différentes. La notion de dispositif favorise ainsi le décloisonnement de l’histoire de la télévision, de la télévision sur grand écran à la télévision bi-directionnelle, en passant par la VHS et la télévision à utilisation médicale42.
Si les deux approches renvoient chacune à un corpus de recherches délimité, elles participent toutes au renouveau de l’histoire des médias qu’elles envisagent sous un angle « élargi » et soulignent l’importance épistémologique de l’ouverture de l’histoire télévisuelle aux multiples technologies et pratiques existant au-delà d'une histoire des programmes d'une part, du service public de l'autre. D’un point de vue pragmatique, ces approches nous invitent par ailleurs à étendre nos champs de recherches archivistiques et à intégrer de nouvelles sources qui n’émanent pas des institutions télévisuelles elles-mêmes. Dans le cadre de notre projet Au-delà du service public, nous avons réuni une cartographie des centres d’archives consultés au cours de nos recherches. Cette cartographie se distingue par l’éclatement géographique et thématique des archives mobilisées et traduit l’expansion des questionnements et objets que nous visons. Incluant autant des archives internationales (UIT) ou locales (Archives cantonales vaudoises), nationales (les archives fédérales) ou associatives (les Archives contestataires à Genève), cette cartographie constitue un outil précieux pour de futures explorations d’une histoire élargie de la télévision en Suisse.
Incarner l’histoire de la télévision : principes de sélection et table des matières
Comme pour tous les ouvrages de cette collection, la sélection des textes dépend évidemment de leur accessibilité en termes de droits. Nous avons également favorisé, pour des raisons pratiques, les textes en anglais et français : l'approche ouvertement globale et transnationale que nous revendiquons par ailleurs se fait ainsi davantage par le poids donné à l'anglais que par la prise en compte de nouvelles percées historiographiques, très sensibles également dans le domaine germanophone, lusophone ou hispanophone. L'impossibilité de traduire certains textes à l'occasion de la présente publication est une limite de l'exercice et de la représentativité de certains choix ; nous avons toutefois privilégié plusieurs traductions existantes afin de favoriser le décloisonnement géographique et linguistique de l'histoire des médias et inviter les étudiant·e·s notamment à intégrer et croiser les différentes écoles et traditions critiques.
Il faut aussi ajouter que notre table des matières ne saurait représenter toutes les dimensions de l’historiographie de la télévision contemporaine. Comme cela a été dit, notre sélection illustre avant tout une série d'approches permettant de donner corps, théoriquement, à la notion de « télévision élargie ». Dans la mesure toutefois où cette dernière nous semble représentative d’un courant de la recherche particulièrement dynamique, nous espérons qu’elle pourra stimuler chercheuses et chercheurs et étudiant·e·s intéressé·e·s à une histoire culturelle de l’audiovisuel pensée de manière globale et intermédiale. On fera aussi le vœu que cette grille de lecture puisse déboucher sur des études de cas helvétiques susceptibles de prolonger notre propre projet de recherche dont on trouvera les premiers résultats sur notre site dédié.
Enfin, chaque section est prolongée par un site internet présentant des ressources complémentaires tant en matière de ressources audiovisuelles que de travaux ; comme en témoigne le présent volume, la recherche sur la télévision s'écrit de plus en plus via le recours au multimedia, ce qui permet à ce domaine de recherche de se présenter comme un laboratoire pour de nouveaux modes d'écriture de l'histoire.
La première section, « Approches », privilégie les références à nos yeux essentielles dans l'historiographie récente de la télévision mais aussi plus largement des études médiatiques. Tout en s'inscrivant pour beaucoup dans le champ de l'archéologie des médias évoqué précédemment, ces études ne sauraient être rattachées à une approche unidimensionnelle mais constituent plutôt autant d'éclairages complémentaires ayant pour dénominateur commun un décloisonnement de l'objet « télévision ». Toutes les contributions plaident d'abord, implicitement ou explicitement, pour une mise au pluriel du terme, tant la télévision a, et cela pour chaque période historique, revêtu des identités instables, multiples et en constante reconfiguration. Ces approches, tout en se défiant d’un déterminisme technologique, veulent intégrer à l'analyse les paramètres techniques et scientifiques qui constituent les prérequis du développement médiatique tout en instaurant un dialogue serré avec les pratiques et les modalités d'appropriation du public qui va rendre l'innovation possible ou non. Dans cette perspective, un accent majeur sera porté sur certaines expérimentations, sur le contexte de « domestication » technique mais aussi sur les ratages, échecs et abandons. Deux autres éléments communs à ces textes sont à souligner : d'une part un élargissement de la périodisation traditionnelle qui ne se limite plus à l'entrée du petit écran dans les foyers mais replace celle-ci dans une histoire de longue durée des formes de transmission et communication à distance ; d'autre part, la prise en compte de nouvelles sources qui déborde le cadre des acteurs médiatiques et institutionnels pour intégrer par exemple des objets comme les expositions industrielles et techniques, les lieux publics de réception ou encore les publicités dans la presse populaire (féminine).
L'exploitation de nouvelles sources est au cœur de la deuxième section intitulée « Imaginaires » : il s'agit de réfléchir à l'apport de sources littéraires et iconographiques utopiques, ou appartenant au registre de l'anticipation, pour penser les usages possibles d'un système médiatique donné. Il ne faudrait pas ici se limiter à une lecture soulignant la capacité prédictive des auteurs en question. Leurs textes autorisent bien plus la mise en exergue des interdépendances entre médias imaginés et réalisés. Qui plus est, le caractère hybride de toute production médiatique et son articulation spécifique de dispositifs spectaculaires live peut ainsi être mise en valeur afin d'intégrer la télévision à une approche intermédiale. On peut l'observer dans l'exemple souvent cité du téléphonoscope imaginé par le romancier et illustrateur Albert Robida (1848-1926) : cumulant les propriétés du théâtrophone – permettant l'écoute des pièces de théâtre à domicile – et de la lanterne de projection, le dispositif permet à l'utilisateur d'accéder en direct, par la voix et l'image, à des spectacles ou informations ou d'entrer en communication directe avec des tiers. Comme l'ont montré Gabriele Balbi et Simone Natale, cette dimension imaginaire est tout aussi féconde heuristiquement pour analyser les applications possibles d'un média déjà en place (la radio par exemple) ou les considérations, dystopiques ou nostalgiques, liées à la disparition supposée d'un support, que l'on parle de la mort du livre ou de la fin de la télévision43.
La troisième section, « Machines », revient sur une histoire des dispositifs techniques télévisuels. Mais alors que celle-ci se limite généralement à la télévision des premiers temps et au passage du système mécanique à celui électronique, cette série d'articles tente de nuancer l'idée d'une technique et de modalités de diffusion immuables. Dès l'immédiat après-guerre, le câble s'impose comme un mode de diffusion alternatif à la voie hertzienne avant que le satellite n’ouvre l'ère des retransmissions à l'échelon du globe. En écho avec l'approche historique des Infrastructure Studies, la dimension technique de ces réseaux de communication doit toujours être articulée à une réflexion sur les enjeux politiques et économiques liés à leur maîtrise et aux nouvelles formes de représentation qu’ils autorisent. Sur un autre plan, une perspective intermédiale permet de quitter l'approche généalogique et finaliste qui domine encore majoritairement l'historiographie des techniques comme celle des médias : plutôt que de concevoir ces derniers dans un continuum porté par l'idée d'amélioration et de progrès, cette perspective privilégie les transferts de technologie qui s'opèrent d'un médium à l'autre tout en soulignant les interdépendances du monde de la communication avec des domaines de pointe connexes, l'industrie militaire notamment. Cette dimension prend une résonance toute particulière dans notre monde contemporain avec les usages démultipliés du drone comme instrument de surveillance, arme de destruction mais aussi caméra de prises de vues aérienne mobilisée toujours plus régulièrement dans la production télévisuelle.
Avec la quatrième section, « Diffusions », nous abordons les productions et diffusions de la télévision qui échappent généralement aux lectures mainstream, celles-ci faisant la part belle à l'élaboration de programmes pour de larges audiences, dans le contexte circonscrit de la réception domestique privée. Or, dès la fin des années 1960, des voix se multiplient afin d'explorer une télévision alternative à la programmation des chaînes de service public et des grands networks. L'avènement de dispositifs légers, comme par exemple la caméra Portapak de Sony, autorise l'appropriation de la technique télévisuelle par des non professionnels et l'élaboration d'une autre constellation d'échange, plus interactive, entre producteurs et consommateurs. En Suisse, comme dans bien d'autres pays, la vidéo sera l'un des instruments d’une contre-culture liée à la contestation politique qui caractérise la fin des années 1960. Le principe du visionnement collectif, qui participe à part entière de cette démarche participative, n’est toutefois pas propre à ce moment historique : l'expérience, assez éphémère, des télé-clubs, associée aux tous débuts de la télévision et à une période encore expérimentale, visait à associer cette nouvelle pratique spectatorielle à une sociabilité villageoise, orchestrée généralement par l'instituteur dans la mesure où le poste récepteur est installé à l'école. Le développement de la télévision scolaire comme vecteur pédagogique mais aussi les expériences pilotes visant à familiariser les élèves avec l'apprentissage des supports filmiques, voire sonores, constitue un terrain d'investigation tout à fait fascinant. Si la présence de l'écran a pris une ampleur formidable depuis les années 1980, des investigations restent à mener sur les différentes modalités d'intégration de l'audiovisuel dans la classe d'école ou l'auditoire d'université, depuis le dispositif de la projection lumineuse jusqu’au studio de télévision en circuit fermé.
Ce dernier aspect nous amène à la dernière section « Enseignements », la moins touffue en termes d'articles, et qui est un appel à ce qui fait la singularité du Living Book, soit la possibilité donnée à la lectrice et au lecteur de proposer ses propres textes pour enrichir l'anthologie. Ces articles devraient ainsi inciter les enseignant·e·s travaillant dans le domaine de l'histoire de la télévision à partager leurs expériences au quotidien. Moins en l'occurrence sur le plan des objets et des approches que sur celui de la mise à disposition du matériel mais aussi, et peut-être surtout, sur l'« invention » de nouvelles mises en récit pour la valorisation du travail personnel de recherche. A la période de la pénurie de ressources a succédé une profusion extraordinaire matérialisée par la multiplication de plateformes web, patrimoniales ou commerciales. Comment sensibiliser élèves et étudiant·e·s à la spécificité de chacune d'entre elles et à prendre en compte les caractéristiques propres de l'archive audiovisuelle dans ses dimensions de production, de préservation et de consultation ? Comment mettre en place de nouveaux types de rendus offrant à la fois toute la rigueur voulue en termes de référencement et une combinatoire attractive entre texte analytique et ressources documentaires ?
Voici quelques questions que nous souhaitons explorer en vue de renforcer encore la prise en compte et l'attractivité des sources audiovisuelles. En ce sens une histoire élargie de la télévision est sans doute un ferment tout désigné pour renouveler nos pratiques aussi bien pédagogiques qu’éditoriales, via de nouveaux formats mais surtout via l'invention de nouvelles modalités du récit historique.
1 Les analyses de la télévision numérique sont nombreuses. En français, voir Boni, Marta (Hg.): Formes et plateformes de la télévision à l’ère numérique, Rennes 2020.
2Missika, Jean-louis: La Fin de la télévision, Paris 2006 (La République des idées).
3 Lotz, Amanda: The Television Will Be Revolutionized, New York 2007.
4 A ce sujet, voir l’étude de Keilbach, Judith; Stauff, Markus: When Old Media Never Stopped Being New. Television’s History as an Ongoing Experiment, in: Valk, de, Marijke; Teurlings, Jan (Hg.): After the Break. Television Theory Today, Amsterdam 2013, S. 79–98 ainsi que les travaux de William Uricchio, par exemple le texte publié dans ce Living Books Uricchio, William: Television’s First Seventy-five Years. The Interpretive Flexibility of a Medium in Transition, in: Kolker, Robert (Hg.): The Oxford Handbook of Film and Media Studies, 2008, S. 286–305. Online: , Stand: 20.12.2021. Dans son analyse de la télévision en R.F.A, Daniela Zetti souligne également cette transformabilité du médium : Zetti, Daniela: Das Programm der elektronischen Vielfalt. Fernsehen als Gemeinplatz in der BRD, 1950-1980, Zürich 2014 (Interferenzen 20).
5 A ce sujet, voir les deux récentes publications de Ivy Roberts et Doron Galili : Roberts, Ivy: Visions of Electric Media. Television in the Victorian and Machine Ages, Amsterdam 2019; Galili, Doron: Seeing by Electricity. The Emergence of Television, 1878-1939, Durham 2020.
6 Pour le cas suisse, voir Cordonier, Gérald: Une guerre des ondes autour de l’arrivée de la télévision en Suisse, entre craintes sociales et défense spirituelle du pays, in: Berton, Mireille; Weber, Anne-Katrin (Hg.): La télévision du téléphonoscope à Youtube. Pour une archéologie de l’audiovision, Lausanne 2009, S. 181–196.
7 Mattelart, Armand; Neveu, Érik: Introduction aux Cultural Studies, Paris 2003 (Repères), tout spécialement pp. 19-27.
8 Bourdieu, Pierre: Sur la télévision. Suivi de L’emprise du journalisme, Paris 1996 (Raisons d’agir). Dans ce contexte, nous pouvons également mentionner les écrits d’Adorno et de Günther Anders : Adorno, T. W.: How to Look at Television, in: The Quarterly of Film Radio and Television 8 (3), 1954, S. 213–235; Anders, Günther: Die Antiquiertheit des Menschen 1: Über die Seele im Zeitalter der zweiten industriellen Revolution, München 2010 [1956].
9 A titre d’exemple, voir le volume pionnier édité par Brunsdon, Spigel et d’Acci en 1997 : Brunsdon, Charlotte; Spigel, Lynn, D'Acci, Julie (Hg.): Feminist Television Criticism. A Reader, New York 1997.
10 Sur cette notion, Heinich, Nathalie; Shapiro, Roberta; Collectif: De l’artification: Enquêtes sur le passage à l’art, Paris 2012.
11 Récemment, la question des liens entre télévision et « arts » a été discuté dans plusieurs publications francophones : Boisvert, Stéfany; Paci, Viva (Hg.): Une télévision allumée. Les arts dans le noir et blanc du tube cathodique, 2018; Hamery, Roxane; Collectif: La télévision et les arts. Soixante années de production, Rennes 2019. Morrissey, Priska; Thouvenel, Eric (Hg.): Les Arts et la télévision. Discours et pratiques, Rennes 2019.
12 Delavaud, Gilles: L’art de la télévision. Histoire et esthétique de la dramatique télévisée (1950-1965), Bruxelles 2005; Soulez, Guillaume: Télévision et esprit de recherche : rouvrir les dispositifs, E-Dossiers de l’audiovisuel « Pierre Schaeffer : quel héritage ? », in: ina.fr, 11.2010; sur les télé-clubs, voir Lévy, Marie-Françoise: La création des télé-clubs. L’expérience de l’Aisne, in: La Télévision dans la République des années 50, 1999, S. 107–131.
13 Voir entre autres Jost, François (Hg.): Pour une télévision de qualité, in: INA, 2014.; McCabe, Janet; Akass, Kim (Hg.): Quality Television. Contemporary American Television and Beyond, London New York 2007.
14 On ajoutera aussi que bien des historiens s'intéresseront de manière précoce à la télévision comme instrument de vulgarisation, comme en témoignent les exemples souvent mentionnés pour la France de Marc Ferro et Georges Duby alors qu’en Suisse Georg Kreis et Jean-Claude Favez sont associés, en 1986, à la réalisation de la production de la SSR Dernières nouvelles de notre passé qui présente l'histoire suisse selon le format des actualités télévisées.
15 Meier, Peter: Die Lücken schliessen. Zum (Zu-)Stand der Schweizer Mediengeschichte. Eine synoptische Bestandesaufnahme, in: Revue suisse d’histoire 60 (1), 2010, S. 4–12.
16 Sur cet aspect, Vallotton, François: Introduction. Pour une histoire culturelle de la production audiovisuelle, in: Décadrages. Cinéma, à travers champs (44–45), 2020, S. 201–206.
17 Voir par exemple : Pünter, Otto: Société suisse de radiodiffusion et télévision, 1931-1970, Berne 1971; Bouvier, Nicolas: Télévision Suisse Romande, 1954-1979. 25 ans TV ensemble, Lausanne 1979.; Mascioni, Grytzko: 25 anni di Televisione della Svizzera italiana 1958-1983 tra ricordi e prospettive, ed. della Radiotelevisione della Svizzera italiana, 1983; Vallotton, Paul: Radio et télévision de Suisse romande, 1922-1997. Pour un 75e anniversaire, Lausanne 1997.
18 Danuser, Hanspeter: Show, Information, Kultur. Schweizer Fernsehen: Von der Pionierzeit ins moderne Medienzeitalter, Aarau 1993.
19 Bardet, René (Hg.): Live-Spezialausgabe «50 Jahre Schweizer Fernsehen», Zürich 2003.
20 Vouillamoz, Raymond; Société de Radiodiffusion et de Télévision de la Suisse Romande, Télévision suisse romande: La TSR a 50 ans. Album de famille. 1954-2004, Genève 2004. Cet ouvrage jouera toutefois un rôle important dans l'intensification du programme de numérisation et de valorisation des archives de la Télévision suisse romande avec l'édition la même année d'un coffret de 5 DVD intitulé Label TSR, cinquante ans d'images 1954-2004.
21Sala, Paolo; Hungerbühler, Ruth; Marcacci, Marco u. a.: Voce e specchio: storia della radiotelevisione svizzera di lingua italiana, Locarno 2009.
22Spring, Roy: Einer gegen alle. Das andere Gesicht des Roger Schawinski, Zürich 1999; Schawinski, Roger: Wer bin ich? Autobiografie, Zürich 2014.
23 Vouillamoz, Raymond: Zapping intime, Lausanne 2014.
24Fehr, Christian: Leo Fischer. Die Erinnerungen des Schweizer Kabelfernsehkönigs, Frauenfeld 2008.
25 Meier, Werner A.; Schanne, Michael; Bonfadelli, Heinz u. a.: Medienlandschaft Schweiz im Umbruch. Vom öffentlichen Kulturgut Rundfunk zur elektronischen Kioskware, Basel 1993.
26 Bonfadelli, Heinz; Meier, Werner A.; Schanne, Michael u. a.: Öffentlicher Rundfunk und Kultur. Die SRG zwischen gesellschaftlichem Auftrag und wirtschaftlichem Kalkül, Zürich 1998; Künzler, Matthias: Die Liberalisierung von Radio und Fernsehen. Leitbilder der Rundfunkregulierung im Ländervergleich, Konstanz 2009; Jarren, Otfried: Rundfunkregulierung. Leitbilder, Modelle und Erfahrungen im internationalen Vergleich. Eine sozial- und rechtswissenschaftliche Analyse, Zürich 2002; Puppis, Manuel: Media Regulation in Small States, in: International Communication Gazette 71 (1–2), 2009, S. 7–17.
27 Saxer, Ulrich; Ganz-Blättler, Ursula: Fernsehen DRS. Werden und Wandel einer Institution. Ein Beitrag zur Medienhistoriographie als Institutionengeschichte, Zürich 1998.
28 Drack, Markus (Hg.): La radio et la télévision en Suisse. Histoire de la Société suisse de radiodiffusion SSR jusqu’en 1958, Baden 2000; Mäusli, Theo; Steigmeier, Andreas (Hg.): Radio und Fernsehen in der Schweiz. Geschichte der Schweizerischen Radio- und Fernsehgesellschaft SRG 1958-1983, Baden 2006; Mäusli, Theo; Steigmeier, Andreas; Vallotton, François (Hg.): La radio et la télévision en Suisse. Histoire de la Société suisse de radiodiffusion et télévision SSR de 1983 à 2011, Baden 2012.
29 La numérisation des sources audiovisuelles, quasi achevée à l'heure actuelle pour ce qui concerne la télévision de service public, et leur mise à disposition en ligne tant par Memoriav, certaines médiathèques que la SSR constituent un tournant majeur, encore insuffisamment accompagné toutefois par une réflexion méthodologique quant à la représentativité des corpus conservés ; voir Pradervand, Olivier: Sauvegarde du patrimoine audiovisuel de la Télévision suisse romande : le Projet Archives, in: Revue historique vaudoise 155, 2007. Online:<http://doi.org/10.5169/seals-514243>, Stand: 21.12.2021; Gogniat, Laurence: Neuchâtel, un canton en images. Apport de la source télévisuelle à une filmographie régionale, in: Décadrages. Cinéma, à travers champs 44–45, 2020, S. 257–268.
30 Pour reprendre la typologie de Jérôme Bourdon : Bourdon, Jérôme: De, par, avec, à travers : bilan critique des relations entre histoire et télévision, in: Delporte, Christian; Gervereau, Denis Maréchal (Hg.): Quelle est la place des images en histoire ?, Paris 2008, S. 79–94.
31Nobs, Lise-Emmanuelle: Les femmes du Syndicat suisse des Mass media. Une impulsion décisive pour l’égalité (1974-2001), in: Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier 29, 2013, S. 77–95.; Steinmaurer, Thomas: Tele-Visionen. Zur Theorie und Geschichte des Fernsehempfangs, Innsbruck 1999 (Beiträge zur Medien- und Kommunikationsgesellschaft 3).
32 Meyer, Caroline: Der Eidophor. Ein Grossbildprojektionssystem zwischen Kino und Fernsehen 1939-1999, Zürich 2009 (Interferenzen : Studien zur Kulturgeschichte der Technik 15).
33 Rudin, Dominique: Video Heterotopia. Linksalternativer Videoaktivismus in der Schweiz 1970-1995, Thesis, University of Basel, Basel 2014. Online: <https://doi.org/10.5451/unibas-007104807>, Stand: 21.12.2021.
34 Sur la guerrilla television, voir Boyle, Deirdre: Subject to Change: Guerrilla Television Revisited, New York 1997; Goddard, Michael: Guerrilla networks: an anarchaeology of 1970s radical media ecologies, Amsterdam 2018. Sur le cas suisse, voir aussi Vallotton, François; Weber, Anne-Katrin: Un scandale télévisuel dans l’été chaud zurichois, in: Études de lettres (312), 15.03.2020, S. 63–68. Online: <https://doi.org/10.4000/edl.2349> et Weber, Anne-Katrin: La télévision communautaire. Un dispositif télévisuel sous tension, in: Zéau, Caroline; Turquety, Benoît (Hg.): Le « direct » et le numérique. Techniques et politiques des médias décentralisés, Paris 2022, S. 210-228.
35 Weber, Anne-Katrin: Television before TV. New Media and Exhibition Culture in Interwar Europe and the USA, Amsterdam 2022.
36 Berton, Mireille; Weber, Anne-Katrin (Hg.): La télévision du téléphonoscope à YouTube : Pour une archéologie de l’audiovision, Lausanne 2009.
37 Keilbach, Judith; Stauff, Markus: When Old Media Never Stopped Being New. Television’s History as an Ongoing Experiment, in: Valk, de, Marijke; Teurlings, Jan (Hg.): After the Break. Television Theory Today, Amsterdam 2013, S. 79–98. Weber, Anne-Katrin: « L’œil électrique » et « la torpille volante » : pistes pour une histoire du drone à partir de l’histoire télévisuelle, in: A contrario 29 (2), 2019, S. 81–98; Hughes, Kit: Television at work. Industrial media and American labor, New York 2020; Murray, Susan: The New Surgical Amphitheater: Color Television and Medical Education in Postwar America, in: Technology and Culture 61 (3), 01.09.2020, S. 772–797.
38 Weber, Anne-Katrin: Télévision(s): fragments d’histoire d’un média éclaté, in: Blandin, Claire; Fantin, Emmanuelle; Robinet, François u. a. (Hg.): Penser l’histoire des médias, Paris 2019, S. 103–104.
39 Parikka, Jussi: What Is Media Archaeology?, Cambridge 2012. Pour un bilan historiographique introductif, voir Fickers, Andreas; Weber, Anne-Katrin: Editorial: Towards an Archaeology of Television, in: VIEW Journal of European Television History and Culture 4 (7), 2015, S. 1–7.
40 Deux monographies publiées récemment offrent une analyse exhaustive de l’archéologie de la télévision au 19ème siècle : Galili, op. cit ; Roberts, op. cit. L’étude de Philippe Sewell analyse discours et représentations de la télévision américaine dans l’entre-deux-guerres : Sewell, Philip W.: Television in the Age of Radio: Modernity, Imagination, and The Making of a Medium, New Brunswick N.J 2014. William Boddy discute les imaginaires accompagnant les « nouveaux médias » dans Boddy, William: New Media and Popular Imagination: Launching Radio, Television, and Digital Media in the United States, Oxford 2004. Par ailleurs, les travaux de William Uricchio ont nourri l’archéologie de la télévision depuis les années 1990, tout comme ceux de Siegfried Zielinski. Uricchio, William: Television, Film and the Struggle for Media Identity, in: Film History 10 (2), 1998, S. 118–127; Zielinski, Siegfried: Audiovisionen: Kino und Fernsehen als Zwischenspiele in der Geschichte, Reinbek bei Hamburg 1989.
41 Berton, Mireille; Weber, Anne-Katrin: Télé-Visions: une introduction à l’histoire des dispositifs télévisuels, in: Berton, Mireille; Weber, Anne-Katrin (Hg.): La télévision du téléphonoscope à Youtube: pour une archéologie de l’audiovision, Lausanne 2009, S. 13–32; Albera, François; Tortajada, Maria (Hg.): Cinema Beyond Film: Media Epistemology in the Modern Era, Amsterdam 2010.
42 Pour une première « application » de la notion à l’histoire de la télévision voir les études dans Berton, Mireille; Weber, Anne-Katrin (Hg.): La télévision du téléphonoscope à YouTube : Pour une archéologie de l’audiovision, Lausanne 2009.
43 Natale, Simone; Balbi, Gabriele: Media and the Imaginary in History, in: Media History 20 (2), 03.04.2014, S. 203–218. Online: <https://doi.org/10.1080/13688804.2014.898904>.
Méthodes
When Old Media Never Stopped Being New
Judith Keilbach & Markus Stauff:
When Old Media Never Stopped Being New. Television’s History as an Ongoing Experiment, Amsterdam 2013.
Le texte de Judith Keilbach et Markus Stauff, spécialistes de l’histoire et des théories de la télévision, constitue une référence clé pour l’élaboration d’une histoire élargie de la télévision. À travers une analyse articulant réflexion historiographique et approche empirique, les auteur·e·s proposent de penser le médium télévisuel en tant que « système expérimental » dont les différentes composantes technologiques, discursives, institutionnelles, ou encore culturelles se reconfigurent constamment, et ceci tout au long de son histoire. Keilbach et Stauff critiquent ainsi l’idée commune selon laquelle la télévision aurait passé par une phase de lent mûrissement socio-technique durant les années 1920 à 1940 avant de trouver sa vocation de mass media domestique. Concevoir la télévision comme système expérimental permet de prendre le contre-pied d'une approche linéaire et progressive et d’envisager la permanente adaptabilité du medium comme l'élément constitutif de son identité.
Television’s First Seventy-five Years
William Uricchio:
Television’s First Seventy-five Years: The Interpretive Flexibility of a Medium in Transition, Oxford 2008.
Les travaux de William Uricchio dans le domaine d’une archéologie du télévisuel sont incontournables. De ses propres recherches, et en endossant le rôle de passeur entre les traditions académiques et scientifiques germaniques et anglo-saxonnes, Uricchio a fortement contribué à enrichir notre savoir historique sur la télévision, en particulier dans le contexte national-socialiste des années trente. Il n’a cessé de renouveler les schémas historiographiques qui s’appuyaient encore trop exclusivement sur l’histoire des institutions télévisuelles. L’article tiré du Oxford Handbook of Film and Media Studies réunit les arguments principaux de l’auteur en faveur d’une histoire intermédiatique – et élargie, ajouterons-nous, - de la technique télévisuelle. Il questionne les notions d’« invention » en soulignant la lente émergence de la télévision tout en discutant sa « flexibilité de longue durée » qui nous invite à penser son histoire au-delà du modèle domestique. Finalement, Uricchio emprunte à la sociologie des techniques la notion de « flexibilité interprétative » pour analyser les définitions multiples du médium portées par des groupes d’usagers divers. A la fois concis et problématisé, cet article constitue la meilleure introduction à une réflexion historiographique sur la télévision.
L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire
Jürgen Müller:
L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision, 2000.
Professeur émérite à l’Université de Bayreuth, Jürgen E. Müller travaille depuis les années 1990 dans une perspective intermédiatique qu’il développe à partir de l’histoire de l’audiovisuel. Attentif aux hybridations, rapprochements et croisements entre médias, Müller contribue à une histoire décloisonnée, soucieuse d’analyser les identités médiatiques en transformation en privilégiant notamment une généalogie de la notion d'intermédialité dans l'espace germanique. Le texte publié en 2000 est parmi les premiers à discuter dans l’espace francophone les imaginaires télévisuels du 19ème siècle. Cette problématique sera reprise en 2003 par Gilles Delavaud dans une livraison des Dossiers de l’audiovisuel intitulée « Un siècle de télévision : anticipation, utopie, prospective » qui éclaire cette histoire longue de la télévision tout en soulignant son dialogue constant avec d'autres formes médiatiques.
Audiovisions : Cinema and Television as Entr’actes in History
Siegfried Zielinski:
Audiovisions : Cinema and Television as Entr’actes in History, 1999.
Le travail de Siegfried Zielinski est marqué par la curiosité pour les oubliés de l’historiographie, une grande érudition, et une sensibilité pour la méthode archéologique qu’il a notamment mise en pratique dans Archäologie der Medien: Zur Tiefenzeit des technischen Hörens und Sehens (2002, 2006 pour la traduction anglaise). L’auteur s’y intéresse aux technologies médiatiques depuis l’Antiquité en s'écartant toutefois d'une perspective linéaire qui n’appréhenderait le développement médiatique qu’en termes de perfectionnement graduel. L’ouvrage Audiovisionen, paru en 1989 et traduit en anglais en 1999, se penche sur une histoire croisée de la télévision et du cinéma, depuis le 19ème siècle jusqu’à la fin du 20ème. En soulignant les multiples liens entre les deux médias, Zielinski insiste en particulier sur les transformations qui accompagnent leur histoire et qu’il analyse depuis le moment historique de leur dissolution dans ce qu’il nomme « l’audiovision ». Cette notion redonne la profondeur historique aux moyens de communication, mais aussi une place primordiale aux formes sonores de communication, souvent négligées par les spécialistes de l’image en mouvement.
La télévision dans le cercle de famille
Lynn Spigel:
La télévision dans le cercle de famille, 1996.
Lynn Spigel est une figure phare des études télévisuelles : elle leur a apporté une perspective originale liant histoire technique, approche genrée et théorie de la réception. Le présent article est une adaptation en français d'un des chapitres de son maître livre Make room for TV. Television and the Family Ideal in Postwar America, 1992). En s'appuyant sur certaines ressources documentaires à l'époque encore atypiques (les encarts publicitaires de la presse magazine notamment), Lynn Spigel analyse les mécanismes paradoxaux de la domestication de la télévision au sein des foyers américains. D'un côté, la télévision est vue comme l’appareil qui permet de ressouder une unité familiale mise en crise par la Deuxième guerre mondiale et les reconfigurations sociales et professionnelles de l’après-guerre ; de l'autre, elle tend à reconfigurer la dynamique familiale en remettant en question l’autorité parentale mais aussi maritale.
The Emergence of Television as a Conservative Media Revolution
Andreas Fickers:
The Emergence of Television as a Conservative Media Revolution. Historicising a Process of Remediation in the Post-War Western European Mass Media Ensemble, 01.02.2012.
Andreas Fickers, aujourd’hui directeur du Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C²DH), a pour caractéristique d’avoir exploré l’histoire de la télévision à la fois sous l’angle de l’histoire des techniques – avec une thèse consacrée aux débats liés à l’introduction des procédés PAL-SECAM en Allemagne et en France –, dans une perspective transnationale, européenne notamment, et de digital history. Il est aussi l’auteur de plusieurs articles sur l’historiographie de la télévision. Dans cette contribution, Fickers veut rompre d’abord avec la focale très majoritairement nationale qui caractérise les études télévisuelles tout en tournant le dos à l’approche linéaire et cloisonnée de l’histoire des médias. Le recours à l’oxymoron «innovation conservatrice» souligne le caractère paradoxal de la télévision de l'après-guerre, ni totalement nouvelle sur le plan technique ni révolutionnaire sur le plan idéologique.
Is the End of Television Coming to an End?
Jérôme Bourdon:
Is the End of Television Coming to an End?, 16.05.2018.
Jérôme Bourdon, Professeur à l’Université de Tel Aviv, fait partie du premier cercle des historienn·e·s de l'audiovisuel en France, partie prenante du séminaire dirigé à l'Institut d'études politiques par Jean-Noël Jeanneney dès 1977. Après une thèse consacrée à la télévision sous de Gaulle, Jérôme Bourdon a développé plusieurs démarches pionnières sur la sociologie des professionnels des médias, sur une histoire culturelle des programmes télévisuels européens ainsi que sur les caractéristiques techniques et stylistiques du médium. Cet article présente un regard atypique sur les discours sur la fin de la télévision. Il s’agit moins ici de penser la télévision à l'ère du « post network » (Amanda Lotz, The Television Will Be Revolutionized, 2007) que de s'interroger sur la récurrence des positions «téléphobes» et les raisons d'un tel acharnement. L'article signale toutefois un changement de perspective récent avec l'émergence de discours médiatiques nostalgiques et le succès des séries.
How television used to be made. ADAPT: Researching the history of television production technology
John Ellis:
How television used to be made. ADAPT: Researching the history of television production technology
Mené par le Prof. John Ellis à la Royal Holloway University (Londres), le projet ADAPT s'inscrit dans le courant de la Hands on Media History. Celui-ci met l'accent, via la reconstitution des techniques télévisuelles pré-numériques, sur la transformation des conditions de production mais aussi, au niveau épistémologique, sur les conséquences de la disparition des savoir-faire et des équipements pour l'approche scientifique. Le volet principal du projet a consisté à recréer les conditions de production télévisuelle en Grande Bretagne depuis les années 1960. A cette fin, ADAPT a réuni des professionnel·le·s de la télévision à la retraite et les équipements désormais obsolètes afin de recréer des situations de production les plus fidèles que possible d’un point de vue historique. Cette démarche du reenactement, comprise comme une approche archéologique expérimentale, a donné lieu à une série de vidéos accessibles sur le site.
Histoire de la télévision
André Lange:
Histoire de la télévision, 2018.
Réédition du site « Histoire de la télévision » lancé en 1999 par André Lange, ancien responsable de département à l’Observation européen de l’audiovisuel (Conseil de l’Europe), le site histv.net réunit un très grand nombre de sources et ressources, en français mais dans une perspective internationale large, sur les débuts de la télévision et au-delà. Le site, qui s’inscrit pleinement dans le courant de l’archéologie de la télévision, permet notamment l’accès à un grand nombre de documents, textuels mais aussi audiovisuels, sur la transmission des images à distance des années 1870 aux années 1945 (« Anthologie des premiers textes »).
Imaginaires
Media and the Imaginary in History
Gabriele Balbi & Simone Natale:
Media and the Imaginary in History, 2014.
Professeurs de Media Studies respectivement aux Universités de la Suisse italienne et de Turin, Gabriele Balbi et Simone Natale inscrivent leurs recherches dans une perspective de longue durée. Pour ce qui concerne le présent article et la problématique des imaginaires médiatiques, il ne s'agit pas uniquement d'aborder ceux-ci dans une profondeur historique large mais de tenir compte des rythmes de développement et d'obsolescence propre à toute production médiatique : une phase, prophétique, qui anticipe l'invention proprement dite ; l'étape, souvent chahutée et objet de luttes et compétitions, de mise en place et d'institutionnalisation ensuite ; enfin le moment où la technologie devient obsolète. Dans ces trois moments, l'analyse des imaginaires permet d'aborder les possibilités de développement des médias concernés en soulignant la diversité mais aussi les modifications constantes des perceptions.
Tom Swift’s Three Inventions of Television
Doron Galili:
Tom Swift’s Three Inventions of Television. Media History and the Technological Imaginary, 09.09.2015.
Doron Galili fait partie des chercheuses et chercheurs qui ont contribué à élargir la périodisation traditionnelle de l'histoire de la télévision. S'inspirant des travaux sur le cinéma des premiers temps mais aussi d'ouvrages fondateurs comme celui de Jonathan Crary (Techniques of the Observer, 1990), Galili lie les débuts de la télévision à une transformation de la notion de vision dès la fin des années 1870. L'article retenu ici participe d'un intérêt pour des « inventeurs » oubliés de la technique télévisuelle : la focale est mise sur une collection d'ouvrages pour la jeunesse, la série américaine des Tom Swift, qui a été publiée entre 1910 et 1941. Celle-ci met en scène trois dispositifs précurseurs : un visio-téléphone, la réception à domicile et par les ondes d'un spectacle musical ou théâtral, enfin un appareil qui permet de voir à travers les murs et autres obstacles.
The Promise of Television
Erik Born:
The Promise of Television, 14.10.2017.
Le texte d’Erik Born s’insère dans un projet de traduction et publication des (premiers) textes théoriques sur le cinéma en Allemagne avant 1933. L’anthologie qui en résulte est prolongée en ligne par un site réunissant des sources supplémentaires, des bibliographies, mais également des analyses sur divers aspects de l’histoire des médias allemands avant la montée du national-socialisme. La question du télévisuel est discutée par Born dans une perspective archéologique qui s’intéresse en particulier à l’imaginaire de la vision à distance tel qu’il émerge au 19ème siècle (voir à ce sujet sa thèse de doctorat intitulée Sparks to Signals: Literature, Science, and Wireless Technology, 1800-1930). Born se penche plus précisément sur les nouveaux agencements et reprises de cet imaginaire par le cinéma, des premiers temps aux années 1930. Son analyse, nourrie par de très précieux extraits filmiques, peut être lue en croisement avec la base de données commentée de Richard Koszarski et Doron Galili Television in the Cinema (voir ci-dessous).
Television as new media
Anne-Katrin Weber:
Television as new media: Raymond-Millet’s ‘Télévision: Oeil de Demain’ (1947) and the politics of French experimental TV, 2019.
Historienne de la télévision et coéditrice de cette anthologie, Anne-Katrin Weber s’intéresse dans ses travaux aux moments historiques qui caractérisent la télévision comme un « nouveau média ». A travers une étude de cas qui prend comme point de départ un film français largement oublié de 1947 – qui semble anticiper le mediascape contemporain avec ses smartsphones et autres écrans portables –, l’auteure décortique le discours filmique insistant sur la nouveauté télévisuelle. Elle argumente que la construction discursive de la nouveauté doit être comprise dans le cadre du redémarrage de la télévision dans la France de l’après-guerre, rendu largement possible grâce au développement télévisuel sous l’occupation nationale-socialiste quelques années auparavant. Positionner la télévision comme « nouveau media » permet d'occulter cet héritage historique encombrant.
Stasis
Jeffrey Sconce:
Stasis
Spécialiste des médias, Jeffrey Sconce a manifesté dans son travail un intérêt tout particulier pour les liens entre médias électroniques d'une part, phénomènes occultes et surnaturels de l'autre. Dans cette contribution qui est une traduction d'un extrait de l'ouvrage Haunted Media : Electronic Presence from Telegraphy to Television (2000), l'auteur souligne la spécificité de la télévision dont la « présence vivante » (living presence) rend encore plus tangible ce rôle d'interface entre la quotidienneté et une « autre dimension ». Deux séries américaines emblématiques des années 1960, The Twilight Zone et The Outer limits, mettent en scène le caractère « spectral » de cette télévision : celle-ci n’est plus la « fenêtre sur le monde » tant vantée dans les périodes précédentes mais l'œil extérieur prenant le contrôle du foyer, conformément aux phantasmes propres à la guerre froide.
Streaming: A Media Hydrography of Televisual Flows
Ghislain Thibault:
Streaming: A Media Hydrography of Televisual Flows, 09.09.2015.
Ghislain Thibault contribue par ses travaux à une archéologie des médias attentive à la fois aux machines et aux imaginaires, aux discours et aux théories. Son article, paru dans un numéro spécial de la revue View sur l’archéologie de la télévision coédité par Andreas Fickers et Anne-Katrin Weber, explore les métaphores « aqueuses » utilisées pour décrire les médias numériques – le streaming en étant l’exemple le plus évident, tout comme les notions de « navigation » et torrents. Thibault replace ces métaphores liquides, déjà utilisés au 19ème siècle pour désigner notamment la télégraphie, dans une perspective de longue durée et discute leur utilisation par la théorie des médias dès les années 1950. Avec la notion du streaming, souvent utilisée comme synonyme de nouveauté et associée à des valeurs telles que participation et liberté de choix, Thibault montre que le terme masque de facto le maintien de logiques médiatiques industrielles et de formes mono/oligopolistiques de production et distribution des contenus.
Television in the Cinema Before 1939
Richard Koszarski & Doron Galili:
Television in the Cinema Before 1939. An International Annotated Database, 2016.
Cette filmographie, constituée en 2016, rassemble les films de fiction antérieurs à 1939 qui mettent en scène « la télévision », que ce soit à travers un imaginaire de la vision à distance, des machines fantasmées ou des récits plus ou moins véridiques d’inventions récentes. La filmographie est commentée et un lien vers le film est proposé si celui-ci se trouve en accès libre. Doron Galili continue à enrichir la filmographie sur son site.
Machines
The Audiovisual Telephone
Mara Mills:
The Audiovisual Telephone. A Brief History, 2012.
Entre autres domaines de spécialisation, Mara Mills est une spécialiste des Sound Studies, ce qui l'a notamment amenée à travailler sur l'histoire du téléphone mais aussi sur l'histoire de la voix et de l'auralité. En tant qu’historienne des médias, elle souligne le rôle fondateur du système téléphonique dans le développement des techniques postérieures d'enregistrement du son; par ailleurs, elle promeut, comme Mireille Berton et Anne-Katrin Weber l'ont fait en Suisse (La télévision, du téléphonoscope à Youtube. Pour une archéologie de l'audiovision, 2009), une intégration de la télévision à une histoire des dispositifs d'audiovision, dont la modalité télévisuelle ne représente qu’une des nombreuses déclinaisons possibles.
Recording on Film, Transmitting by Signals
Anne-Katrin Weber:
Recording on Film, Transmitting by Signals. The Intermediate Film System and Television’s Hybridity in the Interwar Period, 01.07.2014.
Rédigé par la co-éditrice de cette anthologie, ce papier analyse un système télévisuel mis au point dans l’entre-deux-guerres, le système du film intermédiaire. La particularité de cette technologie télévisuelle est de traduire l’image fixée sur une pellicule argentique en signaux transmis par câble ou ondes. Profondément hétérogène, le système matérialise l’hybridité constitutive du médium télévisuel, qui se retrouve au niveau épistémologique et économique : tout comme la machine elle-même est le fruit d’une convergence médiatique, la conception de la télévision est marquée par une hybridation entre « anciens » et « nouveaux médias ». Finalement, le développement du système de film intermédiaire résulte d’une convergence industrielle alliant des acteurs de l’industrie cinématographie, de l’optique, et du télévisuel.
Record/Film/Book/Interactive TV
Kit Hughes:
Record/Film/Book/Interactive TV. EVR as a Threshold Format, 01.01.2016.
Historienne de la télévision et des médias utilitaires, Kit Hughes s’intéresse dans son travail aux oubliés de l’histoire audiovisuelle. Dans son ouvrage de 2020, elle analyse l’utilisation du médium télévisuel par l’industrie et les grands groupes américains depuis les années 1950 (Television at Work. Industrial Media and American Labor) ; dans l’article sur l’Electronic Video Recording (EVR), elle met en perspective les discours et pratiques qui ont accompagné cette technologie vidéo quasi inconnue. Le procédé de l’EVR, dont l’exploitation en Suisse sera le fait d'un consortium incluant la CIBA, Geigy et les éditions Rencontre, est rapidement voué à l’échec. Pour Hughes, certains « ratages » sont à même d’ouvrir « de nouveaux terrains de recherche dans les marges de la media history tout en permettant d’approfondir notre connaissance de l’histoire de son centre ». Cette sensibilité pour les marges inscrit pleinement sa recherche dans une histoire élargie de la télévision.
Apollo TV. The Copernican Turn of Gaze
Lorenz Engell:
Apollo TV. The Copernican Turn of Gaze, 2012.
Spécialiste des théories des médias et professeur à la Bauhaus-Universität à Weimar, Lorenz Engell est notamment l’auteur d’un ouvrage sur la Fernsehtheorie, paru en allemand en 2012. Son intérêt pour l’objet télévisuel est tout d’abord épistémologique : dans son article sur la transmission télévisuelle de l’alunissage en 1969, Engell discute la manière dont la vue de la terre depuis la lune prolonge le projet copernicien de la période moderne, produisant un savoir sur notre place dans l’univers qui est désormais visuellement accessible. Les réflexions théoriques sur la télévision « pré- » et « post-Apollo 11 » sont précédées d’une analyse sur le « complexe télévisio-spatial » où Engell démontre l’importance du médium télévisuel pour le projet de la NASA. C’est cette partie qui résonne particulièrement bien avec les autres papiers de la section sur les Machines en ce qu’elle démontre l’expansion du réseau matériel télévisuel jusque sur la lune.
Blue Skies and Strange Bedfellows
Thomas Streeter:
Blue Skies and Strange Bedfellows: the Discourse of Cable Television, Boca Raton, FL 2013.
Spécialiste d'Internet, Thomas Streeter a consacré un livre – Selling the Air: A Critique of the Policy of Commercial Broadcasting in the United States, 1996 – aux prérequis culturels et idéologiques à la commercialisation des ondes aux Etats-Unis. C’est dans ce cadre qu’il a été amené à s'intéresser au câble et au contexte qui a conduit à une légitimation d'un dispositif technique qui s'est heurté, à l'origine, à l'opposition des télédiffuseurs locaux. L'approche de Streeter a l'intérêt de mettre la focale sur les différents acteurs sociaux, politiques et économiques, qui, dans une sorte de coalition aussi improbable que disparate, ont amené la Federal Communications Commission (FCC) à intégrer le câble au paysage médiatique fédéral.
Earth Observation and Signal Territories
Lisa Parks:
Earth Observation and Signal Territories: Studying U.S. Broadcast Infrastructure through Historical Network Maps, Google Earth, and Fieldwork, 14.09.2013.
Récipiendaire du prestigieux Prix McArthur pour ses travaux dans le domaine des Media Studies, Lisa Parks explore l’histoire et la politique des moyens de communication planétaires, des satellites aux drones. Son article de 2013 articule trois perspectives pour étudier les infrastructures télécommunicationnelles du 19ème au 21ème siècle : une analyse historique qui s’appuie sur les cartes géographiques des réseaux de télégraphie, une analyse du paysage contemporain de la radiodiffusion à l’aide de Google Earth, et une démarche créative basée sur l’exploration in situ d’une installation de transmission repérée via les logiciels de géolocalisation. A travers ces trois études de cas, l’auteure plaide pour une meilleure compréhension des infrastructures médiatiques, souvent délaissées au profit d’approches focalisées sur la production et sur la réception des contenus.
dronetv.lu
Anne-Katrin Weber:
dronetv.lu
Initiée par Anne-Katrin Weber, dronetv.lu est une plateforme plurilingue autour de l’histoire de la télévision militaire, industrielle et éducative. A travers des contributions de formats différents (texte, audio, vidéo, photographie), elle cherche à mettre en lumière les applications et usages de la télévision utilitaire. La plateforme prolonge une recherche postdoctorale soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique ; son élaboration et mise en ligne a été rendu possible grâce au soutien généreux du Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH) de l’Université du Luxembourg. Dronetv.lu réunit des textes de la responsable de projet, ainsi que des travaux réalisés par les étudiant·e·s du Seminar für Medienwissenschaft à l’Université de Bâle durant le semestre pandémique en automne 2020. Le site web sera enrichi au fil des enseignements et recherches à venir : il sert ainsi également à l’exploration de nouvelles formes de récits historiques. Une présentation plus détaillée du projet se trouve ici.
Diffusions
From Screen to Site: Television’s Material Culture, and Its Place
Anna McCarthy:
From Screen to Site: Television’s Material Culture, and Its Place, 01.10.2001.
Anna McCarthy, professeure en études cinématographiques à la New York University, a contribué à un renouvellement important de l'historiographie de la télévision : du récepteur domestique diffuseur de programmes, la recherche s'est déplacée vers la prise en compte des multiples présences de l'écran au sein de l'espace public. McCarthy confère une grande importance à la matérialité de ces dispositifs ainsi qu’à leur résonance avec leur environnement architectural, commercial, ou professionnel en s'intéressant aussi bien à la présence de la télévision dans les bars et restaurants, les centres commerciaux ou encore les cabinets médicaux. Dans cette contribution, publiée la même année que son ouvrage Ambient Television : Visual Culture and Public Space, elle porte l'accent sur les fonctions, a priori peu remarquables, de la télévision en tant qu’objet matériel, avec son esthétique et sa temporalité propres.
Histoire d’une illusion
Hélène Duccini:
Histoire d’une illusion. La télévision scolaire de 1945 à 1985, 2013.
Après une thèse dirigée par Robert Mandrou et consacrée à la littérature pamphlétaire du XVIIe siècle, Hélène Duccini en est venue à travailler sur l'audiovisuel via la création de modules d’enseignement abordant à la fois l’histoire contemporaine et les médias électroniques. Elle-même productrice d'émissions pour la télévision scolaire de 1965 à 1970, elle s'est intéressée dans cette contribution du Temps des Médias à la genèse de cette exploitation pédagogique, dès 1945 mais avec une accélération notable dans les années 1960. Une partie de l'article met l'accent sur l'expérience pilote de Marly-le-Roi (1966) qui voit chaque salle de classe équipée de récepteurs reliés à un studio susceptible de favoriser la collaboration entre enseignants et élèves autour de la production d'émissions.
Tele-clubs and European Television History Beyond the Screen
Ira Wagman:
Tele-clubs and European Television History Beyond the Screen, 29.11.2012.
À l’instar de l’historienne française Marie-Françoise Levy, Ira Wagman, Professeur en communication à Carleton University (Ottawa) s'intéresse au phénomène des télé-clubs qui constituent une étape fondamentale pour l'implantation géographique, mais aussi sociale et culturelle, de la petite lucarne en France. Ayant généralement pour cadre l'école du village, porté par un mouvement associatif important et la réalisation d'émissions spécifiques, le phénomène éphémère des télé-clubs s'inscrit dans le vaste mouvement d'action culturelle de l'après-guerre dont la télévision est à la fois l'héritière et un ferment. L'originalité de l'approche de Wagman est de souligner combien cette phase d'implantation du médium autorise une forme de renouvellement des études télévisuelles. L'histoire des téléclubs gagne d'abord à être abordée dans une perspective transnationale mais aussi en resituant la nouveauté de l'expérience participative par rapport à certaines démarches antérieures. Dans un deuxième temps, par l'étude notamment de Joffre Dumazedier sur les télé-clubs (1956), il est possible de resituer les initiatives télévisuelles de l'UNESCO au sein des discours plus globaux sur le rôle et la fonction du médium dans cette phase de son développement.
Half-Inch Revolution
Kris Paulsen:
Half-Inch Revolution, 10.2013.
Spécialiste de l’histoire de l’art contemporaine et en particulier de l’art vidéo, Kris Paulsen est professeure associée à la Ohio State University. Dans son texte paru dans un numéro spécial sur l’« archéologie des réseaux », Paulsen analyse l’émergence de la Guerrilla Television, ce mouvement de télévision alternative et contestataire qui voit le jour à la fin des années 1960 aux États-Unis, en déplaçant son attention des modes de production aux modes de distribution privilégiés par les collectifs audiovisuels. Si certaines initiatives de cette « contre-télévision » cherchaient une diffusion par les chaînes publiques, des réseaux plus informels, basés notamment sur l’échange de cassettes vidéo, constituaient la véritable colonne vertébrale du mouvement. Celui-ci s’appuyait ainsi sur un réseau décentralisé et non-hiérarchisé de diffusion qui fonctionnait en étroite collaboration avec des revues éditées par des acteurs du milieu, plutôt que sur les infrastructures institutionnelles centralisées.
Modern Art as Media Event
David Rynell Åhlén:
Modern Art as Media Event. Early Swedish Television and the Communication of Art Appreciation, the Case of «Multikonst» (1967), 2016.
Exploitée dans le cadre d'une thèse sur la programmation artistique sur les antennes de la télévision suédoise des années 1950 et 1960, cette étude de cas revient sur une expérience singulière, Multikonst (1967) : la télévision est directement partie prenante de cet événement puisque le projet est caractérisé par la présence d'écrans dans les 100 lieux qui accueillent simultanément une exposition d'art contemporain tout en s'appuyant sur cinq émissions spéciales diffusées dans les foyers et les musées. En reprenant la définition de l'événement médiatique développée par Katz et Dayan, l'auteur montre l'impact social de la diffusion live ; sur un autre plan, la télévision n’est pas seulement mise au service de la promotion de l'art mais exploitée comme une nouvelle forme de diffusion où la reproduction et l'exploitation commerciale de l'œuvre sont supplantées par la distribution et la réception simultanées.
Les archives de la RTS
Radio Télévision Suisse:
Les archives de la RTS
De nombreuses institutions télévisuelles proposent aujourd’hui l’accès en ligne à (une partie) de leur patrimoine audiovisuel. Ces plateformes permettent la diffusion large d’images et sons qui peuvent nourrir la recherche et l’enseignement. Pour la Suisse francophone, la RTS propose un site dédié à la valorisation des archives et une éditorialisation des contenus en phase avec des sujets d’actualité. Les ressources historiques de la télévision suisse allemande, la SRF, sont accessibles sur la plateforme Play SRF, malheureusement pas très efficace en termes de fonctionnalités de recherche. Dans l’ensemble, la mise à disposition de métadonnées accompagnant les émissions historiques reste lacunaire sur ces sites, ce qui les rend impropres, si on se limite à ceux-ci, à une exploitation scientifique.
Une partie des archives télévisuelle est également accessible sur la base de données Memobase de Memoriav, l'Association pour la sauvegarde de la mémoire audiovisuelle suisse. Outre l'intégration récente du catalogue complet des émissions de la SSR, Memobase réunit plus de 200'000 vidéos issues d'institutions variées.
Pour l’Europe, le projet EUSCREEN, un consortium d’institutions audiovisuelles et de partenaires affiliés, a pour objectif de rendre visible l’héritage européen et de donner accès aux événements les plus marquants du 20ème et 21ème siècle. Finalement, signalons également le site de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) en France, institution phare créée dès 1974 qui donne accès aux fonds du dépôt légal de la radio télévision depuis 1992.
Enseigner (avec) la télévision
The Bad Object: Television in the American Academy
Michele Hilmes:
The Bad Object: Television in the American Academy, 2005.
Historienne de la radio et de la télévision, Michele Hilmes a accompagné de près l’émergence des Television Studies anglo-saxonnes. Dans ce bref article publié à l’occasion d’un dossier sur l’enseignement de la télévision au début des années 2000 et l’émergence du numérique avec ses nouvelles formes de distribution et de réception, Hilmes revient sur les débuts de la discipline en la mettant en parallèle avec les études cinématographiques. Même si l’article date d’il y a presque vingt ans, autant sa caractérisation de la télévision comme « mauvais objet » pour un grand nombre de chercheuses et chercheurs que son appel pour une histoire des médias attentive aux convergences entre film, radio, télévision et internet demeurent d’une grande actualité. Selon Hilmes, pour comprendre le paysage médiatique contemporain, les étudiant·e·s doivent pouvoir suivre des cours couvrant le spectre (historique) des médias.
L’audiovisuel dans l’auditoire
François Vallotton & Nelly Valsangiacomo:
L’audiovisuel dans l’auditoire. L’intégration des sources radiophoniques et télévisées au sein de l’enseignement académique, 2010.
Depuis 2006, François Vallotton et Nelly Valsangiacomo ont développé au sein de la section d'histoire de l'Université de Lausanne un pôle d'enseignement et de recherche sur « l'histoire audiovisuelle du contemporain ». Après avoir évoqué le lent processus de légitimation, puis de conservation et de mise à disposition des sources audiovisuelles dans le contexte suisse, l'article se veut avant tout un retour d'expériences sur certains séminaires intégrant un matériel radiophonique ou télévisuel. La nécessaire critique des ressources documentaires doit être accompagnée d'une mise à disposition plus large non seulement du matériel brut mais aussi des métadonnées. Une accessibilité dont ne devraient pas être absentes des considérations plus méthodologiques et théoriques quant à une exploitation raisonnée de gisements alimentant l'intérêt croissant des étudiant.e.s.
«Les jeunes vont s’éclater!»
Séverine Graff:
Les jeunes vont s’éclater!» Apocalypse, la Premiére Guerre mondiale ou l’enseignement au defi du spectaculaire, 2015.
Historienne du cinéma, auteure d'une thèse sur le cinéma-vérité (Cinéma-vérité, films et controverses, 2014), Séverine Graff revient sur la série historique télévisée à succès française Apocalypse Première Guerre mondiale. La contribution analyse les nombreuses controverses provoquées par l'émission par plusieurs spécialistes des cultures visuelles ou des médias : ces critiques, pointant notamment un traitement problématique de l'archive (colorisée et sonorisée), doivent-elles empêcher une utilisation du documentaire en classe au vu de son attractivité et de son pouvoir d'identification pour un jeune public ? L'auteure conclut par quelques pistes didactiques afin de dépasser l'opposition entre histoire académique et grand public.
Au-delà du service public
François Vallotton & Anne-Katrin Weber:
Au-delà du service public – Pour une histoire élargie de la télévision en Suisse, 1960-2000.
Le site tvélargie, primé par le Prix Memoriav 2020, est issu du projet de recherche « Au-delà du service public : pour une histoire élargie de la télévision en Suisse, 1960 à 2000 ». Mené par François Vallotton et Anne-Katrin Weber, ce projet a été soutenu par le Fonds national suisse pour la recherche scientifique de 2016 à 2021. Il a produit de nombreux résultats, dont une partie est rendue accessible sur le site. Le site a été en particulier soigné par les deux doctorantes du projet, Roxane Gray et Marie Sandoz. Il propose un large aperçu de nos activités, incluant des textes rédigés par nos soins, des papiers issus des enseignements donnés par les responsables du projet et un blog très vivant qui relaie les actualités internationales quant à la recherche sur l’audiovisuel.