Histoires de l’Internet et du Web
Résumé
Qui a « inventé » Internet ? Qui détient les clés d’Internet ? Quelles sources, quels acteurs mettre en lumière pour composer une histoire de l’Internet et du Web qui rende compte de ses origines, trajectoires, tournants, évolutions, continuités ?
L’émergence d’Arpanet dans les années 1960, puis de l’Internet dix ans plus tard, est le produit d’un processus d’innovation de longue durée et non clos jusqu’à aujourd’hui, marqué par l’enchevêtrement de lignées sociotechniques et de réseaux d’acteurs hétérogènes.
À l’occasion des cinquante ans du lancement du projet Arpanet, des vingt-cinq ans du Web ou encore des vingt ans d’Internet Archive, et à travers une sélection de sources et de textes de recherche, cette anthologie cherche à donner un aperçu de la variété des acteurs, trajectoires, approches, méthodologies et écritures de l’histoire d’Internet et du Web. Organisée en trois parties qui tendent à dessiner une progression chronologique - d’Arpanet à Internet, puis de l’Internet des premiers adoptants à sa prise en considération par le politique et les premiers pas d’une gouvernance élargie, enfin du Web à sa démocratisation dans le grand public au début des années 2000, elle met en dialogue des approches techniques, économiques, sociales, culturelles, politiques, ou encore juridiques et offre une vision élargie d’une histoire qui ne s’écrit pas seulement aux et depuis les Etats-Unis mais connaît aujourd’hui un véritable dynamisme international.
Introduction
« Il existe une demi-douzaine de livres sur Internet, écrits par des gens qui n’étaient pas là quand il a été développé. On est tenté de commencer un ouvrage sur le sujet par la vieille remarque : “Tout ce que vous savez est faux !” » (Jacques Vallée, Au cœur d’Internet, Balland, 2004, p. 20).
Il y a tout juste cinquante ans, en 1966, Charles Herzfeld débloquait à l’Advanced Research Projects Agency les financements qui permettront au département de l’IPTO (Information Processing Techniques Office) de lancer le projet Arpanet ; il y a vingt-cinq ans, en 1991, le Britannique Tim Berners-Lee annonçait en ligne, dans les Newsgroups, espaces de discussion de la communauté Usenet1, l’invention du Web ; il y a vingt ans, en 1996, Brewster Kahle créait Internet Archive, fondation qui se donnait alors pour mission d’archiver le Web mondial... Récente, l’histoire d’Internet est tournée vers un objet en mouvement permanent, ni clos, ni stabilisé2. Elle est également confrontée à la mémoire vivante de ses acteurs, au regard que porte son époque sur cette innovation, qui incarne pour beaucoup la «révolution numérique», et aux définitions plus ou moins larges de son périmètre.
Afin de ne pas discriminer entre plusieurs acceptions et approches de l’Internet et de son histoire, cette anthologie rend compte d’une variété de tendances historiographiques et de travaux. Certains prennent étroitement pour cadre d’étude le réseau des réseaux et ses aspects protocolaires. D’autres proposent une analyse plus large des cultures numériques. Les acteurs techniques, mais aussi les visionnaires des premiers temps sont à l’honneur, notamment dans les sources rassemblées dans la première partie de ce Living Book. Mais, les suivantes font également place à des aspects économiques, sociaux et politiques, pour ne pas adopter une approche exclusivement technicienne et internaliste de cette histoire. En effet, les acteurs qui ont fait l’histoire d’Internet ne sont pas seulement ceux qui en ont conçu l’architecture technique et que célèbre l’Internet Hall of Fame de l’Internet Society, même si leur rôle a été décisif et fondateur (voir le texte de Leiner, Cerf et al.). Contribuent aussi à cette histoire ceux qui, par leur vision éclectique, décalée, politisée, engagée, en ont forgé les imaginaires et cultures, à l’instar de John Perry Barlow et de sa retentissante déclaration d’indépendance du Cyberespace en 1996. Des travaux, notamment ceux d’Eric von Hippel3, ont mis en valeur l’idée que les innovations et usages numériques sont le produit d’une co-construction et ne peuvent être appréhendés selon une vision purement descendante (top/down). Les utilisateurs sont également des acteurs à part entière de cette histoire. Ce sont ceux des premiers temps, puis les early adopters confrontés dans les années 1990 à l’arrivée des néophytes sur les réseaux qu’ils ont contribué à développer (voir le texte de Nicolas Auray)4. Ce sont enfin ceux qui découvrent la Toile, créant leurs pages personnelles (article d’Olivier Trédan), consultant les annuaires (texte de Tom Haigh) ou s’appropriant des cultures numériques spécifiques (article de Jason Eppink).
L’histoire du World Wide Web, à laquelle est largement consacrée la troisième partie, rencontre bien sûr celle d’Internet. Toutefois, elle ne se confond pas totalement avec elle, ni par son rythme, ni par ses origines. Son historiographie et les méthodologies et sources exploitées pour l’écrire diffèrent aussi. Il est bien sûr possible de trouver des racines communes dans la vision des « pères fondateurs », notamment celle qui s’exprime dans l’idée des bibliothèques du futur ou encore du Memex de Vannevar Bush. Mais il convient de tenir compte du décalage temporel (le Web est inventé à la fin des années 1980) et de différences notables dans les profils des innovateurs, entrepreneurs et utilisateurs (du « concepteur-utilisateur » des débuts d’Arpanet au grand public qui s’empare du Web dans les années 1990).
À travers une sélection de sources et de textes de recherche, qui implique des choix et laisse dans l’ombre des aspects que nous aurions voulu aussi mettre en lumière (histoire des réseaux de la recherche nationaux, des spams, des FAI, etc.), cette anthologie donne un aperçu de la variété des acteurs, trajectoires, approches, méthodologies et écritures de son histoire. Elle est organisée en trois parties qui tendent à dessiner une progression chronologique. Celle-ci va d’Arpanet à Internet, puis de l’Internet des premiers adoptants à sa prise en considération par le politique et aux premiers pas d’une gouvernance élargie, enfin du Web à sa démocratisation dans le grand public au début des années 2000. Elle reflète le dynamisme d’une historiographie en pleine construction, nourrie d’approches en histoire des techniques et de l’innovation, des médias, en Science and Technology Studies, en sciences de l'information et de la communication, en humanités numériques, en archéologie des médias ou encore en Internet et Code Studies.
L’histoire de l’Internet et du Web en questions
- Pourquoi s’y intéresser ?
Pour quelles raisons s’intéresser à l’histoire d’Internet ? Au moins pour trois motifs. D’abord pour comprendre le monde numérique présent, pour pénétrer les coulisses et les origines d’un réseau des réseaux qui s’est complexifié et qui, en quelques décennies, a irrigué tous les secteurs de nos vies quotidiennes, professionnelles et personnelles, de nos pratiques culturelles et communicationnelles. Il a vu naître ou se renouveler des géants médiatiques et commerciaux et pose à nos sociétés des questions éthiques, juridiques, politiques, économiques et diplomatiques, parfois de manière retentissante. Ensuite pour retrouver les valeurs, les imaginaires fondateurs de la communication en réseaux, les femmes et les hommes qui, derrière les techniques et les matériels, ont rendu possibles ces innovations, ou pour y voir plus clair sur les trajectoires qui ont mené aux usages d’aujourd’hui. Enfin pour s’interroger sur « l'américanité » d'une innovation majeure, née aux États-Unis, à la fois produit et cause de la puissance américaine, et contrôlée aujourd'hui par les géants du Web, tous états-uniens.
Pourtant, longtemps présentée comme l’émanation d’un projet militaire né aux États-Unis, l’histoire du réseau des réseaux s’avère en réalité beaucoup plus complexe, tant dans ses origines que dans son évolution. Elle ne s’écrit pas exclusivement depuis l’espace nord-américain, elle n’est pas linéaire. Elle n’est pas non plus le fruit de quelques esprits qui auraient mis en œuvre un projet défini et stable, mais la rencontre d’aspirations, influences, chercheurs et ingénieurs, entrepreneurs, producteurs et utilisateurs qui, en quelques décennies, s’emparent d’une innovation ouverte, souple, malléable, se l’approprient, la partagent, la modèlent, la détournent aussi parfois.
- Des débats et controverses
Cette variété d’acteurs n’est bien sûr pas sans susciter des controverses au sein de la jeune histoire de l’Internet. Les batailles de paternité font rage, notamment autour de l’invention de l’email. Pour preuve, les débats passionnés autour des revendications de Shiva Ayyadurai à être présenté comme l’inventeur de l’email. Aspirations auxquelles les historiens répondent fermement, sources à l’appui, qu’il n’y a pas un inventeur unique. Ils mettent en avant une multiplicité d’apports et notamment ceux, décisifs, de Ray Tomlinson. Mais, plus globalement, c’est l’origine du projet qui devient source de débats. Ce fut le cas au moment de la seconde campagne de Barack Obama pour sa réélection à la présidence. À l’été 2012, un article de Gordon Crovitz dans le Wall Street Journal, intitulé Who really invented the Internet ? créait ainsi la polémique, car il attribuait le succès d’Internet à l’entreprise Xerox. Son auteur cherchait ainsi à minimiser la place du gouvernement et des financements publics dans le développement du réseau des réseaux, mais minorait aussi du même coup celle du projet Arpanet ou encore des scientifiques. Signe également d’un nouveau regard porté sur le numérique et ses usages, en 2006 le Time mettait à l’honneur les internautes en un article intitulé: « You — Yes, You — Are TIME's Person of the Year ». « In 2006, the World Wide Web became a tool for bringing together the small contributions of millions of people and making them matter », notait-il, insistant sur un modèle de co-construction et d’innovations ascendantes qui ne peut manquer d’interpeller les historiens.
Les débats historiographiques portent sur les acteurs historiques de l’Internet et leurs rôles respectifs, sur les apports du monde militaire (voir l’article de Janet Abbate), de la contre-culture des années 1970, du logiciel libre et de la culture ouverte qui traversent Internet et le Web (texte de Christopher Kelty). Ils touchent également à la place des entrepreneurs et des usages commerciaux dans un réseau des réseaux qui échappe au départ aux appétits marchands, sur la décentralisation et la répartition des pouvoirs au sein de celui-ci, et révèlent des tensions géopolitiques. Ces problématiques historiques trouvent aussi des prolongements directs dans les enjeux actuels, que sont la neutralité de l’Internet, les questions de transparence ou de privacy (voir l’article de Sandra Braman), la responsabilité des intermédiaires sur les contenus qu’ils véhiculent et/ou hébergent, ou encore la gouvernance d’Internet.
Aux sources d’Internet
L’émergence d’Arpanet dans les années 1960, puis de l'Internet dix ans plus tard, est le produit d’un processus d’innovation de longue durée, particulièrement complexe. Celui-ci est marqué par l’enchevêtrement de lignées sociotechniques et de réseaux d'acteurs hétérogènes, aux histoires différenciées. Chercher le point d'origine unique d’une telle innovation est donc une tentative vaine. Il faut d’emblée embrasser une multiplicité d’origines et de facteurs qui, dans le contexte précis du milieu des années 1960 aux États-Unis, vont converger et se cristalliser dans ce réseau informatique inédit. Au premier plan apparaît la longue histoire des techniques de communication, qui est marquée par la triple recherche de la vitesse, du rendement et de la précision dans la transmission des informations. Mais il faut bien sûr évoquer l’utopie du savoir hypertextuel, la prégnance de la cybernétique, l’innovation de l’informatique en temps partagé, le contexte de la guerre froide, l’essor de la contre-culture hippie, les nouveaux modes de management de la recherche scientifique américaine, etc. Impossible ici de développer chacune de ces histoires, qui participent toutes de l'émergence d'Arpanet et expliquent son devenir5.
- Cybernétique, « augmentation », temps partagé... : les courants précurseurs d’Internet
Dans une observation de longue ou moyenne durée, il faudrait aussi resituer Arpanet dans l’histoire des outils, des systèmes et des réseaux de l’information scientifique. Depuis le réseau de correspondance du Père Marin Mersenne entre les clercs européens au XVIIe siècle, jusqu’à Arpanet, réseau d'échanges entre chercheurs, en passant par le projet de Réseau Documentaire Universel de Paul Otlet, ou le dispositif hypertextuel de Vannevar Bush, le fameux Memex, nous pouvons suivre une lignée historique très longue, multiforme. Elle va s’actualiser dans les années 60 aux États-Unis dans une problématique générale, englobant les recherches sur les hypertextes, les messageries collectives, les interfaces hommes-machines, le partage des informations, les communautés en ligne... Quel est le point commun de ces différents thèmes, exprimés dans les textes de quelques chercheurs comme Paul Otlet, Vannevar Bush, Douglas Engelbart, Joseph Licklider, Ted Nelson, Robert Fano et bien d’autres ? On peut le résumer par la notion de « quête de l’efficacité » dans la recherche, la production et la diffusion de l’information scientifique et technique. Comment améliorer les outils d’information, comment « augmenter » (selon l'expression d’Engelbart) les capacités intellectuelles de l’homme, comment utiliser ces nouvelles machines que sont les ordinateurs dans les tâches de production-traitement-diffusion de l’information, comment mieux partager les travaux de recherche, etc. C'est l’une des principales origines constitutives d’Arpanet, réseau d’échange, de partage, d’intelligence collective avant la lettre, entre chercheurs. Cette problématique, dont Arpanet n’est qu’une étape, va se déployer pleinement en 1989 dans l’invention du World Wide Web par Tim Berners-Lee qui se réfère explicitement à Bush et aux pionniers des hypertextes.
Si l’histoire de l’Internet et celle du Web suscitent aujourd’hui des controverses et discussions parfois houleuses, si elles sont saisies au moyen de sources, d’approches et de méthodologies variées, une trame narrative commence toutefois à être communément admise. Elle prend en général sa source dans les années 1950, remontant à la cybernétique et au temps partagé.
De très nombreux signes confirment l’importance de la cybernétique et de la théorie de l’information dans la genèse d’Arpanet. Non seulement la cybernétique de Wiener a constitué le nouveau paradigme de recherche de la plupart des chercheurs qui ont inspiré Arpanet (à commencer par Licklider), mais elle a été également un puissant cadre social. Elle a permis en effet la création et la structuration de laboratoires, d'équipes et de réseaux de chercheurs, qui travaillent ensemble dès les années 50, notamment au MIT6. N’oublions pas non plus sa dimension idéologique, véritable matrice de « l’utopie de la communication » comme l'avait montré Philippe Breton7. Bref, Arpanet, et après lui Internet, ne sont tout simplement pas compréhensibles, si l’on oublie la prégnance de la cybernétique de Wiener8.
Si la place de la cybernétique dans l’histoire d'Internet est connue, celle d’une innovation technique dans les systèmes d’exploitation des ordinateurs l’est en revanche beaucoup moins. Pourtant, elle est tout aussi essentielle, car sans l'invention du time-sharing dans la seconde moitié des années 50, avec le jeune John McCarthy9, l'émergence d'Arpanet n'aurait sans doute pas été techniquement possible. Le time-sharing (temps partagé) s’oppose au modèle alors dominant du batch processing (traitement par lots), i.e. au modèle d’une informatique «lourde», vouée au calcul et entièrement aux mains des informaticiens et des constructeurs. Il est la traduction technique d’une autre représentation de l’ordinateur, conçu comme une machine à communiquer, une technologie de l’intelligence, un outil d’aide à la décision. Inspiré par la cybernétique, croisant les projets de l’hypertexte, le mouvement autour du temps partagé a fortement contribué, au tout début des années 1960, à l'émergence de «l'informatique interactive», dont le psychologue Joseph Licklider sera l'un des plus brillants représentants. Et si l’on observe la période des années 50 à la fin des années 60, Arpanet apparaît à la fois comme l’aboutissement de ce mouvement particulier de recherche et le point de départ d’une nouvelle informatique, celle de l’ordinateur en réseau. Un aboutissement, puisque le réseau est élaboré dans le prolongement explicite des nombreux projets de time-sharing qui éclosent au début des années 60 dans plusieurs universités américaines (notamment au MIT avec le MAC Project). Il est construit en partie par les mêmes chercheurs et, surtout, pour les mêmes objectifs : l’accès simultané de plusieurs utilisateurs à l’ordinateur et le partage des ressources. Les liens entre le time-sharing de la charnière des années 50-60 et Arpanet sont directs, étroits et multiples et l’on peut considérer celui-ci comme l’un des fleurons de ce modèle de l’informatique interactive. Cette lignée de l'informatique interactive part des laboratoires du MIT à la fin des années 50 avec le time-sharing ; elle passe par les recherches d’Engelbart à Stanford sur les interfaces et l’invention de la souris, mais aussi par les travaux sur les systèmes graphiques. Puis, après la création d’Arpanet, elle se poursuit à la fois dans la mise au point de l’ordinateur individuel, l’appropriation des réseaux (comme USENET) par les utilisateurs, avant d'exploser dans le grand public avec le Web.
- Vers la multiplication des réseaux informatiques
Si le projet Arpanet a bien été financé par l’ARPA (Advanced Research Project Agency), agence militaire qui surplombait toutes les autres agences militaires du Pentagone, il n'a pas été mis en place pour « résister à une guerre nucléaire ». Lorsque Robert Taylor, alors directeur de l'IPTO (Information Processing Technology Office), le Bureau des Technologies de Traitement de l'Information au sein de l'ARPA, a lancé cette idée de réseau, en février 1966, c’était d’abord pour améliorer la communication à distance avec la trentaine de chercheurs en informatique en contrat avec l'ARPA (les « ARPA's Contractors ») et surtout pour inciter ceux-ci à partager leurs ressources informatiques, très coûteuses à cette époque. « Nous allons construire un réseau et vous allez y participer. Et vous allez connecter vos machines. En vertu de cela, nous allons réduire nos besoins en informatique »10, annonce aux chercheurs en avril 1967, de manière peu diplomatique, le jeune Larry Roberts, recruté pour mener à bien ce projet inédit de réseau informatique. Nulle trace de motivation militaire dans le projet Arpanet au début, comme l'attestent d'ailleurs les pionniers eux-mêmes (voir le texte de Leiner, Cerf et al.). Construit par la firme Bolt, Beranek and Newman, l'une des entreprises informatiques les plus innovantes de l'époque, qui réalisera une partie des matériels mais aussi des spécifications techniques nécessaires au réseau, Arpanet voit le jour à l'automne 1969, par la connexion progressive des quatre premières universités retenues par l’ARPA/IPTO : l’UCLA (Université de Californie à Los Angeles), le SRI (Stanford Research Institute) à Stanford, l’UCSB (l’Université de Californie à Santa Barbara) et l’Université d'Utah.
Opérationnel dès décembre 1969 avec ses quatre nœuds en fonctionnement, il rompt avec les architectures antérieures, notamment celles développées par des industriels de l’informatique. Alors que celles-ci étaient essentiellement centralisées et propriétaires, ne supportant que les machines et équipements d’un même constructeur, Arpanet se place du côté de l’ouverture. Il permet ainsi à des ordinateurs de constructeurs différents de communiquer par l’intermédiaire d’un sous-réseau, composé d’IMP (Interface Message Processors). Il fait également le choix novateur de la commutation de paquets. Cette technique consiste à découper les messages en paquets de données pour les faire circuler de manière plus commode et efficace dans le réseau.
Ce choix de la transmission par paquets sera également l’une des bases techniques de l’Internet. Paul Baran, Leonard Kleinrock et le Britannique Donald Davies en avaient élaboré, chacun de son côté, les premières notions, au début des années 60 dans le contexte du paroxysme de la guerre froide. Paul Baran, ingénieur américain, travaille alors dans une célèbre agence de sécurité américaine, la Rand Corporation, et il propose au Pentagone, entre 1962 et 1965, un projet de réseau militaire distribué (distributed network), qui ne verra jamais le jour (Baran abandonne lui-même le projet en 1965)11. Ce projet sera, longtemps après, confondu avec Arpanet, créant ainsi la rumeur, encore très répandue sur le web, des origines militaires d’Internet12. En réalité, le seul point commun entre le projet Arpanet et celui de Paul Baran était la transmission par paquets et le caractère distribué du réseau. En effet, le second inventeur de la transmission par paquets, Leonard Kleinrock, a développé en 1961-62 une vision proche de celle de Paul Baran (sans connaître les travaux de celui-ci), mais dans une perspective civile liée au temps partagé. Rappelons que Kleinrock a été l'un des acteurs majeurs d’Arpanet à l’UCLA, alors que Baran n’a jamais directement participé au projet.
En Europe, ces approches font également l’objet de recherches et d’expérimentations, notamment en Grande-Bretagne au National Physical Laboratory (avec Donald Davies) ou encore en France, derrière Louis Pouzin à l’Institut de recherche en informatique et automatique (voir l’article de François Fluckiger). Le réseau Cyclades13, dont Louis Pouzin est le chef de projet aura un écho bien au-delà de ses quelques années d’existence (1971-1979). Les Américains Vinton Cerf et Robert Kahn intègrent en 1974 plusieurs de ses idées dans ce qui deviendra TCP/IP (Transmission Control Protocol/Internet Protocol). Ce protocole, qui permet non plus seulement d’interconnecter et de faire dialoguer des machines de constructeurs différents, mais également d’interconnecter différents réseaux, fait d’Internet « le réseau des réseaux », deux ans après la première démonstration publique d’Arpanet en 1972.
Car les réseaux informatiques, fondés sur la transmission par paquets, ne vont cesser de se multiplier dans les années 70 : AlohaNet à l’Université d’Hawaii, TELENET réseau commercial lancé par BBN, PRNet (Packet Radio Net) réseau par radio financé par l’ARPA, CYCLADES, USENET, BITNET, CSFNet, etc. La question majeure des années 70 est bien celle de « l'inter-networking », i.e. l'inter-connexion de réseaux hétérogènes, qui donnera son nom à ... Internet. Opérationnel sur quelques réseaux à la fin des années 70, le protocole TCP/IP devient le standard des réseaux du Pentagone et il est implanté sur Arpanet le 1er janvier 1983, donnant le véritable coup d'envoi de sa diffusion. En 1983 également, Arpanet sera scindé en deux parties, une branche proprement militaire, MILNET, et Arpanet, qui devient un réseau purement civil, utilisé par le monde universitaire et scientifique. Celui-ci trouve dans des applications telles que le courrier électronique et les transferts de fichiers, mais aussi le partage de la puissance de calcul, des réponses à ses besoins. La National Science Foundation, à travers son réseau NSFNet, soutient le mouvement en faveur de TCP/IP, qu'elle adopte en 1985. Dans le même temps Internet croît aussi sous l’effet du développement des réseaux locaux d’entreprises et des usages des communications en réseaux, engagés par exemple sur Usenet (réseau développé en 1979 en Caroline du Nord par des étudiants).
- Tous les chemins ne menaient pas à Internet : des voies alternatives
Internet repose sur une organisation ouverte, fondée notamment sur les Request for Comments, qui incarnent l'aspect distribué et égalitariste des discussions. Mais, les sources et textes de recherche sélectionnés dans la première et la seconde partie mettent aussi à jour des tensions et débats et montrent que d’autres réseaux et solutions techniques ont pu se présenter comme des alternatives crédibles.
Le témoignage d’Alexander McKenzie attire notamment notre attention sur les rapports de force qui se jouent au sein de l’International Network Working Group, formé en 1972, lors de la première démonstration publique d’Arpanet. On y voit explicitement les jeux de pouvoir s’organiser, confrontant notamment acteurs états-uniens et européens. Le texte d’Andrew Russell comme celui de Martin Campbell-Kelly et Daniel Garcia-Swartz abordent explicitement des luttes au sein des réseaux, cultures techniques, espaces d’innovation. Elles s’expriment notamment dans la confrontation dans les années 1980 et au début des années 1990 entre tenants de l’Internet et de l’OSI14. L’Open Systems Interconnection est une architecture en sept couches développée au sein de l’ISO (International Organization for Standardization). Celle-ci souhaite adopter une approche plus œcuménique et passer par la concertation large au sein des organismes de normalisation traditionnels. Rappelons également le conflit qui oppose le monde informatique et celui des télécommunications dans leur appréhension de la commutation de paquets. Face à TCP/IP mais aussi au réseau français Cyclades et à son approche par les datagrammes, le monde des télécommunications qui, dans bien des pays, tient les infrastructures de communication, est réticent envers ces technologies. Il développe ses propres solutions : les circuits virtuels et le protocole X25, adopté par eux en 197615.
Cette tension entre mondes de l’informatique et des télécommunications, qui court des années 1970 jusque dans les années 1990, n’est qu’un des volets qui explique la présence et le développement de plusieurs réseaux (voir l’article de François Fluckiger). Il faut aussi compter avec les frontières nationales, qui induisent des développements qui ne sont pas toujours compatibles. Les Britanniques font notamment dans leur réseau Janet, leur réseau de la recherche, des choix protocolaires très spécifiques. Souvent imperméables les uns aux autres, formant au début des années 1990 une véritable mosaïque, notamment en Europe, tous ces réseaux en ont commun de viser en priorité le public académique et scientifique dans les années 1980-1990.
Mais l’évolution des réseaux n’est pas seulement technique, elle est aussi sociale et culturelle. Au cours de la décennie 1980 se développe l’équipement en informatique personnelle, tandis que la France fait à large échelle l’expérience du Minitel, s’affirmant pionnière dans l’usage des services en ligne (mais fondés sur des solutions télématiques). La communauté The Well, les échanges au sein de Usenet - mais aussi les services commerciaux The Source ou Prodigy, créés respectivement en 1984 et 1985, sont des espaces où fleurissent les groupes de discussion ou/et les premiers services en ligne.
- Le temps du Web et de la massification
La véritable massification des usages en réseaux, et d’Internet en particulier, se fait au cours des années 1990 et au début des années 2000 grâce au développement du World Wide Web. Plusieurs visionnaires comme Vannevar Bush avec le Memex ou Ted Nelson avec Xanadu ont ouvert la voie à l’hypertexte, un des fondements du système développé par le Britannique Tim Berners-Lee au tournant de la décennie 1980-1990, au sein de l’organisation européenne de recherche nucléaire (CERN). La mise à disposition de ses spécifications techniques de manière gratuite et ouverte en assure la large diffusion. La définition par Marc Andreessen à l’Université d’Illinois en 1993 de Mosaic, un des tout premiers navigateurs graphiques, contribue également au large déploiement d’Internet et du Web. Il est suivi de Netscape (1994), auquel contribue Marc Andreessen parti s’installer dans la Silicon Valley, puis d’Internet Explorer (1995).
Avec le Web, et après un premier mouvement de privatisation des infrastructures, qu’a analysé avec précision Janet Abbate16, Internet devient également l’objet d’attentions entrepreneuriales et politiques. Tandis qu’aux États-Unis derrière Al Gore, puis en Europe, les discours optimistes sur les autoroutes de l’information puis la société de l’information se succèdent, Internet et le Web n’échappent plus aux appétits des entreprises. En 1995, alors que Microsoft lance MSN et Windows95 et que débute la guerre des navigateurs, plusieurs futurs géants du Web comme Amazon, eBay et Yahoo! partent à la conquête de la Toile. En moins d’une décennie émergent les services aujourd’hui les plus consultés de la Toile, à l’instar de Google en 1997, Wikipedia en 2001 et The Facebook en 2004, au moment où Tim O’Reilly popularise l’expression Web 2.0.
C’en est fini de l’ « indépendance du Cyberespace » que John Perry Barlow revendiquait dans sa déclaration de 1996. Les tensions sont palpables entre les racines d’Internet non marchandes, plutôt ouvertes, distribuées, pair-à-pair, et le développement de systèmes « verticalisés », davantage asymétriques, portés notamment par des Pure Players au succès parfois insolent. Évasion fiscale, guerre des brevets, surveillance, « balkanisation » du Web et d’Internet que créent les GAFAM17, revendication d’un droit à l’oubli, d’une gouvernance d’Internet plus équilibrée, ou encore préservation de la neutralité de l’Internet sont parmi les enjeux actuels et débats déterminants pour l’avenir.
Textes, acteurs, moments fondateurs
Qui a inventé Internet ? Qui détient les clés d’Internet ? Quelles sources, quels acteurs mettre en lumière pour composer une histoire de l’Internet et du Web qui rende compte de l’enchevêtrement des origines, trajectoires, tournants, évolutions, continuités ?
- Textes des fondateurs et textes fondateurs
Une quinzaine de sources sont ici mises en valeur représentant autant de jalons dans une aventure à la fois technique, économique, politique et sociale.
Ces textes sont souvent considérés comme fondateurs, ayant servi de référence, d’inspiration aux acteurs en leur temps et bien au-delà. Passés à la postérité, régulièrement convoqués, ils sont devenus patrimoniaux. Ce sont notamment ceux de la période antérieure aux années 1980, imprégnée de cybernétique, de ces visions du futur qu’expriment Norbert Wiener, Vannevar Bush, Douglas Engelbart ou Ted Nelson.
À ces « grands textes » répondent des textes plus ancrés dans leur temps. Ils témoignent aussi à leur façon de visions, mais plus pragmatiques, contextuelles, à l’instar de celles d’Al Gore. Ses discours sur les autoroutes de l’information traverseront d’ailleurs l’Atlantique, s’incarnant en Europe sous la plume de Martin Bangeman ou de Gérard Théry dans des rapports stratégiques et d’orientation. Ces textes d’accompagnement ne sont pas le seul fait des acteurs politiques, ou du moins des acteurs d’une politique étatique. Il y a vingt ans, John Perry Barlow exprimait avec sa Déclaration d’indépendance du Cyberespace une vision de l’Internet qui a prévalu chez bien des acteurs des premiers âges de la communication en réseau, celle d’une nouvelle frontière, d’un espace de liberté. Ce nouveau front pionnier de créativité véhicule des imaginaires, utopies, valeurs que Michael et Ronda Hauben ont exprimé à la même époque dans Netizens, alors que déjà le Web infléchit les usages et publics de l’Internet. Enfin, non dénué de vision mais également de ce sens de la formule qui caractérise un certain nombre d’acteurs contemporains du numérique, le « Web 2.0 » de Tim O’Reilly n’a rien à envier aux formules abondamment relayées d’un Chris Anderson dans Wired, ni par sa popularité, ni par les polémiques et controverses qu’il suscite.
Visions globales des pères fondateurs, visions politiques, économiques, scientifiques ou sociétales de passeurs, médiateurs, acteurs du numérique... Ce panorama nécessairement incomplet le serait encore davantage s’il ne faisait place aussi à la mémoire et aux traces techniques du développement du réseau des réseaux et du Web. Les écrits de John McCarthy, de Tim Berners-Lee, de Marc Andreessen, les Requests for comments qui constituent la mémoire technique des négociations qui se jouent au sein de la « république des ingénieurs », constituent aussi des repères indispensables.
Polyphoniques, ces sources donnent le ton d’une histoire de l’Internet et du Web qui s’écrit aussi, du côté de la recherche, à plusieurs voix.
- Une historiographie en pleine expansion et renouvellement
Les textes de recherche choisis dans ce Living Book répondent à des critères de libre accessibilité. Aussi un certain nombre de textes de recherche indéniablement pionniers et importants ont été exclus de cet ouvrage. Les choix effectués ne sont toutefois pas des choix par défaut. Ils sont aussi guidés par le souhait de réunir une diversité d’auteurs choisis dans l’historiographie la plus récente comme dans celle plus ancienne (on pense notamment à l’article de 1999 de Patrice Flichy, dont le livre L’imaginaire d’Internet reste au même titre qu’Inventing the Internet de Janet Abbate un incontournable). Ils abordent des espaces géographiques différents, afin de montrer que le dynamisme des recherches sur l’histoire du Web et de l’Internet se trouve aujourd’hui aussi en Europe notamment. Nous ne doutons pas que nos lecteurs auront d’ailleurs d’autres textes à recommander pour enrichir ce Living Book.
De nos choix ressortent plusieurs points, qui nous semblent refléter certaines tendances phares de l’historiographie actuelle :
Comme le notaient William Dutton, Tom Haigh et Andrew Russell dans l’introduction du dossier « Histories of the Internet » de la revue Information & Culture : « The Internet which is invented in Abbate’s book, and the other works mentioned, is the Internet as understood circa 1994, not the incomparably broader Internet of 2014. Bridging this gulf is not simply a matter of extending Abbate’s story further in time, to encompass later episodes such as the browser wars of the mid-1990s or the rise of smartphones, tablets, and social media »18. Lorsque Janet Abbate analyse l’Internet au tournant de la décennie 1990/2000, son attention se porte sur la construction du réseau des réseaux, la manière dont se fait le passage d’Arpanet à Internet et les tendances à l’œuvre dans la progressive marche vers la privatisation. Dans le même temps, Patrice Flichy interroge notamment les communautés virtuelles, les valeurs qui unissent les premiers pas des Netizens, qu’expriment alors Michael et Ronda Hauben ou Howard Rheingold dans Les communautés virtuelles. Quinze ans plus tard, des objets tels que les spams analysés dans l’ouvrage de Finn Brunton ou les gifs et mèmes, auxquels le Journal of Visual Culture a consacré un dossier, montrent que des objets de la culture numérique aux formes parfois plus triviales, deviennent des objets de recherche féconds. Ces approches se nourrissent des influences de l’archéologie des médias, des études visuelles ou encore des STS pour analyser des formes récurrentes et l’imbrication d’intentionnalités humaines et techniques.
Focalisée d’abord sur les premiers pas états-uniens de l’Internet, l’histoire des réseaux a connu un élargissement. Des recherches ont réintroduit dans son cours non linéaire une diversité d’acteurs, notamment européens. Elles ont éclairé des enjeux géopolitiques et sociotechniques qui s’expriment dans le choix des protocoles (voir l’article d’Andrew Russell) et dans les débats autour de la gouvernance du « réseau des réseaux » (texte de Milton Mueller). Cette attention à une histoire des réseaux qui élargit la focale, pour ne pas se concentrer exclusivement sur l’espace états-unien ou sur l’Internet, a aussi permis de réintroduire d’autres innovations et expériences, à l’instar de celle du Minitel19, dans une histoire qui évite l’approche téléologique.
Les textes sélectionnés font varier les problématiques mais aussi les échelles. Aux formes numériques, sur lesquelles se penche Jason Eppink, d’un Internet vernaculaire, parfois « fait à la main », répondent des fresques plus larges, à l’instar de celle que François Fluckiger trace. À cette analyse au plus près des évènements qu’il a suivis, répond une lecture sous l’angle des controverses et des enjeux actuels - ou à venir - par Sandra Braman autour de la notion de privacy. Andrew Russell décortique la controverse qui opposa les partisans dans les années 1980-1990 de l’Open Systems Interconnection à ceux de TCP/IP. Le témoignage d’Alex McKenzie rend également compte de projets à la fois techniques mais aussi politiques qui se confrontent. Milton Mueller, dès 1999, éclairait des enjeux de gouvernance, autour de l’attribution et de la gestion des noms de domaine. À l’euphorie de la période de la bulle Internet dont Tom Haigh dévoile les premiers pas, lorsqu’il aborde la naissance des annuaires et des grands groupes qui investissent dans la recherche d’informations sur le Web, répondent les racines très diverses des valeurs, imaginaires et cultures numériques. Christopher Kelty comme Dominique Cardon, dans la préface à l’ouvrage que Fred Turner a consacré à Stewart Brand, éclairent les racines libertaires ou encore ouvertes d’un Internet dont la complexité des origines n’a cessé de susciter les analyses. Martin Campbell-Kelly et Daniel Garcia-Swartz donnent une vision large de ces origines et de l’imbrication de plusieurs lectures possibles de la genèse d’Internet. Celles-ci doivent aux travaux notamment de Janet Abbate sur le développement de la commutation de paquets au moment de la guerre froide, à ceux de Patrice Flichy sur le rôle du monde universitaire ou à ceux qui portent sur l’influence de la contre-culture, mais aussi de cultures numériques développées au sein d’autres réseaux, tels The Well, les BBS, Bitnet, les échanges Minitel, etc. Ce ne sont plus une mais des histoires de l’Internet comme le soulignent Tom Haigh, William Dutton et Andrew Russell qui se dessinent20, attentives tantôt aux communautés qui, d’Arpanet à Internet, créeront une culture de l’échange et de la normalisation décisive, tantôt aux différents milieux qui se saisissent de l’Internet (universitaires, industriels, entrepreneurs, passeurs, usagers, etc.).
Des usagers, il est question dans les deux premières parties, mais d’usagers souvent largement auto-référentiels. Ils utilisent alors le réseau... pour parler du réseau et œuvrer à son développement. Mais déjà les Netizens apparaissent et font émerger des formes de communications médiées par ordinateurs originales, que ce soit au sein des forums Usenet ou de communautés plus spécifiques. Des usagers plus ordinaires se profilent dans la troisième partie, au moment du tournant du Web. Qualifié par Paul Ceruzzi21 de maillon manquant au succès d’Internet, le Web doit également au succès du navigateur graphique Mosaic, qui donne un aspect plus « user friendly » aux usages imaginés par le Britannique Tim Berners-Lee. Le World Wide Web marque un tournant vers la démocratisation de l’Internet et de ses usages (messageries, forums, navigation dans la Toile, transfert de fichiers, etc.). Gifs, pages personnelles développées dans Geocities ou Mygale en France... les articles de Jason Eppink et d’Olivier Trédan témoignent de l’intérêt d’études de cas et d’approches par des objets et milieux spécifiques. Ils permettent de saisir le foisonnement qui commence à s’exprimer sur la Toile. Les cultures numériques qui émergent, marquées par les héritages précédents, confrontent aussi les « anciens » aux « newbies », ces néophytes qui envahissent dans la seconde moitié de la décennie 1990 les espaces jusque là dédiés à des cercles restreints. Ce qui a été qualifié aux États-Unis d’Eternal September pour faire référence à l’arrivée des étudiants en 1993 sur AOL et l’Internet, non sans susciter les craintes et quelques raidissements des communautés d’origine, est saisi pour la France par Nicolas Auray. Celui-ci introduit aussi une lecture fine des enjeux politiques, juridiques, de gouvernance qui commencent à agiter les sociétés confrontées aux usages en réseaux. Ces tensions entre générations d’utilisateurs, ces interrogations, ces frémissements, on les retrouve dans les forums Usenet, maintenus notamment par Google, mais aussi au sein des archives du Web. Celles-ci fêtent en 2016 leurs vingt ans en même temps que la fondation Internet Archive, créée par Brewster Kahle. Ces nouvelles sources qui s’ouvrent à l’historien de la Toile, soulèvent des questions méthodologiques et épistémologiques (voir l’article de Niels Brügger) et invitent à penser ce que l’histoire offre à la compréhension d’Internet et du Web, mais aussi ce qu’Internet et le Web font à l’écriture de l’histoire.
Sélection de ressources pour approfondir
Articles, ouvrages et thèses :
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Abbate, Janet: Inventing the Internet, Cambridge MA 1999.
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Ankerson, Megan: Historicizing Web Design: Software, Style, and the Look of the Web, in: Staiger, Janet; Hake, Sabine (Hg.): Convergence Media History, New York, London 2009, S. 192–203. Online: www.academia.edu, <https://www.academia.edu/1564716/Historicizing_Web_Design_Software_Style_and_the_Look_of_the_Web>, Stand: 01.12.2016.
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Aspray, William; Ceruzzi, Paul E. (Hg.): The Internet and American business, Cambridge MA 2008.
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Brügger, Niels (Hg.): Introduction: The Webs first 25 years, in: New Media & Society 18 (7), 01.08.2016, S. 1059–1065. Online: Sage Journals, <dx.doi.org/10.1177/1461444816643787>, Stand: 01.12.2016.
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Brunton, Finn: Spam. A shadow history of the Internet, Cambridge MA 2013.
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Dulong de Rosnay, Mélanie; Musiani, Francesca: The preservation of digital heritage. Epistemological and legal reflections, in: ESSACHESS – Journal for Communication Studies 5 (2(10)), 22.12.2012, S. 81–94. Online: www.essachess.com, <http://www.essachess.com/index.php/jcs/article/view/169>, Stand: 02.12.2016.
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Haigh, Thomas; Russell, Andrew L.; Dutton, William H.: Histories of the Internet. Introducing a Special Issue of Information & Culture, in: Information & Culture: A Journal of History 50 (2), 2015, S. 143–159. Online: CrossRef, <https://dx.doi.org/10.1353/lac.2015.0006>, Stand: 02.12.2016.
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Flichy, Patrice: L’imaginaire d’internet, Paris 2001.
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Guédon, Jean-Claude: La force de l’intelligence distribuée, in: La Recherche 328, 2000, S. 16–22.
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Hafner, Katie; Lyon, Matthew: Les sorciers du Net. Les origines de l’internet, Paris 1999.
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Merzeau, Louise: Faire mémoire des traces numériques. E-dossier de l’audiovisuel : sciences humaines et sociales et patrimoine numérique, Ina, 2012, <http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-sciences-humaines-et-sociales-et-patrimoine-numerique/faire-memoire-des-traces-numeriques.html>, Stand: 02.12.2016.
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Mussou, Claude: Et le Web devint archive. Enjeux et défis, in: Le Temps des médias (19), 27.11.2012, S. 259–266.
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Paloque-Berges, Camille: L’imaginaire du « grand public » au tournant du Web (1993-1997), in: Revue française des sciences de l’information et de la communication (7), 01.07.2015. Online: rfsic.revues.org, <https://dx.doi.org/10.4000/rfsic.1478>, Stand: 02.12.2016.
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Rebillard, Franck: La genèse de l’offre commerciale grand public en France (1995-1996). Entre fourniture d’accès à l’Internet et services en ligne « propriétaires », in: Le Temps des médias (18), 29.06.2012, S. 65–75.
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Salter, Anastasia; Murray, John: Flash. Building the interactive web, Cambridge MA 2014.
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Schafer, Valérie: Des réseaux et des hommes. Les réseaux à commutation de paquets : un enjeu pour le monde des télécommunications et de l’informatique françaises (des années 1960 au début des années 1980), Doctoral thesis in Contemporary History, Université de Paris 4, 2007.
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Schafer, Valérie; Tuy, Bernard: Dans les coulisses de l’internet: RENATER, 20 ans de Technologie, d’Enseignement et de Recherche, Paris 2013.
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Schafer, Valérie; Thierry, Benjamin G.: The «Web of pros» in the 1990s: The professional acclimation of the World Wide Web in France, in: New Media & Society, 27.04.2016, S. 1461444816643792. Online: nms.sagepub.com, <http:/www.dx.doi.org/10.1177/1461444816643792>, Stand: 02.12.2016.
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Serres, Alexandre: Aux sources d’Internet: L’émergence d’ARPANET, PHD Thesis, Université Rennes 2, 2000. Online: tel.archives-ouvertes.fr, <https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00312005/document>, Stand: 02.12.2016.
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Siles, Ignacio: The rise of blogging: Articulation as a dynamic of technological stabilization, in: New Media & Society 14 (5), 01.08.2012, S. 781–797.
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Stevenson, Michael: Rethinking the participatory web. A history of HotWired’s “new publishing paradigm,” 1994–1997, in: New Media & Society 18 (7), 21.10.2014, S. 1331–1346.
Sites web et ressources électroniques :
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Dodge, Martin: Historical Maps of Computer Networks, in: Dodge, Martin; Kitchin, Rob: Atlas of cyberspace, London 2004. Online: University of Manchester, <http://personalpages.manchester.ac.uk/staff/m.dodge/cybergeography//atlas/historical.html>.
-
Doug Engelbart Institute: The MIT/Brown Vannevar Bush Symposium, Doug Engelbart Institute, 2008, <http://www.dougengelbart.org/events/vannevar-bush-symposium.html>, Stand: 20.12.2016.
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Griffin, Scott: Internet Pioneers, 2000, <http://www.ibiblio.org/pioneers/index.html>, Stand: 20.12.2016.
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Internet Society: Internet Hall of Fame, <http://internethalloffame.org/>, Stand: 20.12.2016.
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Internet History 1962 to 1992, Computer History Museum, <http://www.computerhistory.org/internethistory/>, Stand: 20.12.2016.
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Internet Society: History of the Internet, <http://www.internetsociety.org/internet/what-internet/history-internet>, Stand: 20.12.2016.
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Schafer, Valérie: Web90. Patrimoine, Mémoires et Histoire du Web dans les années 1990, Open Edition, 2014, <http://web90.hypotheses.org/>, Stand: 20.12.2016.
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Serres, Alexandre: Histoire d’Internet et des réseaux d’information, URFIST de Bretagne et des Pays de la Loire, 2003, <http://www.sites.univ-rennes2.fr/urfist/histoire_internet>, Stand: 20.12.2016. Voir notamment la chronologie
1 Usenet est un réseau américain développé à la fin des années 1970 en Caroline du Nord, qui a servi de support aux premiers forums de discussion.
2 Feenberg, Andrew; Friesen, Norm (Hg.): (Re)Inventing The Internet : Critical Case Studies, Rotterdam 2012, S. 9.
3 Hippel, Eric von: Democratizing innovation, Cambridge MA 2006.
4 Voir également Paloque-Berges, Camille: L’imaginaire du « grand public » au tournant du Web (1993-1997), in: Revue française des sciences de l’information et de la communication (7), 01.07.2015. Online: rfsic.revues.org, <http://www.dx.doi.org/10.4000/rfsic.1478>, Stand: 24.07.2016.
5 Serres, Alexandre: Aux sources d’Internet. L’émergence d’ARPANET, Thèse de Doctorat, Université Rennes 2, 2000. Online: tel.archives-ouvertes.fr, <https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00312005/document>, Stand: 24.03.2017.
6 Massachussets Institute of Technology.
7 Breton, Philippe: L’utopie de la communication. Le mythe du «village planétaire», Paris 1992.
8 Voir notamment Wiener, Norbert: Cybernétique et société. L’usage humain des êtres humains, Paris 2014 (Points Seuil Sciences). Et Wiener, Norbert: La cybernétique. Information et régulation dans le vivant et la machine, Paris 2014 (Sources du savoir).
9 John McCarthy se rendra surtout célèbre comme étant l'un des pères fondateurs de l'Intelligence Artificielle, avec Marvin Minsky.
10 Norberg, Arthur L.: Oral history interview with Lawrence G. Roberts, in: Charles Babbage Institute, Center for the History of Information Processing, University of Minnesota, 04.04.1989. Online: conservancy.umn.edu, <http://conservancy.umn.edu/handle/11299/107608>, Stand: 21.04.2017. Audio tape and transcript, p. 8.
11 Sur l’histoire détaillée du projet de Paul Baran, voir notamment Hafner, Katie; Lyon, Matthew: Les sorciers du Net. Les origines de l’internet, Paris 1999.
12 Ceruzzi, Paul E.: Aux origines américaines de l’Internet : projets militaires, intérêts commerciaux, désirs de communauté, in: Le Temps des médias (18), 29.06.2012, S. 15–28. Online: Cairn.info, <http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TDM_018_0015>, Stand: 21.04.2017.
13 Schafer, Valérie: Des réseaux et des hommes. Les réseaux à communications de paquets : un enjeu pour le monde des télécommunications et de l’informatique françaises (des années 1960 au début des années 1980), Thèse de Doctorat en Histoire contemporaine, Université de Paris 4, 2007. Online: www.theses.fr, <http://www.theses.fr/2007PA040161>, Stand: 21.04.2017.
14 Voir également Guédon, Jean-Claude: La force de l’intelligence distribuée, in: La Recherche 328, 2000, S. 16–22.
15 Le mode datagrammes consiste à faire circuler les paquets d’un même message par des chemins différents au sein du réseau, avant de les rassembler à destination pour reformer le message. Les circuits virtuels représentent une autre option au sein de la commutation de paquets : les paquets de données se suivent et empruntent tous le même chemin. Schafer, Valérie: La France en réseaux. 1: La rencontre des télécommunications et de l’informatique (1960-1980), Paris 2012.
16 Abbate, Janet: Privatizing the Internet. Competing Visions and Chaotic Events, 1987–1995, in: IEEE Ann. Hist. Comput. 32 (1), 01.2010, S. 10–22. Online: ACM Digital Library, <http://dx.doi.org/10.1109/MAHC.2010.24>, Stand: 21.04.2017.
17 Le groupe des géants du web : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.
18 Haigh, Thomas; Russell, Andrew L.; Dutton, William H.: Histories of the Internet: Introducing the Special Issue of Information and Culture, SSRN Scholarly Paper ID 2517598, Social Science Research Network, Rochester, NY 31.10.2014. Online: <http://www.tomandmaria.com/Tom/Writing/HistoriesOfTheInternetDRAFT.pdf>, Stand: 21.04.2017.
19 Schafer, Valérie; Thierry, Benjamin G.: Le minitel. L’enfance numérique de la France, Paris 2012.
20 Haigh, Thomas; Russell, Andrew L.; Dutton, William H.: Histories of the Internet: Introducing the Special Issue of Information and Culture, SSRN Scholarly Paper ID 2517598, Social Science Research Network, Rochester, NY 31.10.2014. Online: <http://www.tomandmaria.com/Tom/Writing/HistoriesOfTheInternetDRAFT.pdf>, Stand: 21.04.2017.
21 Ceruzzi, Paul E.: Aux origines américaines de l’Internet : projets militaires, intérêts commerciaux, désirs de communauté, in: Le Temps des médias (18), 29.06.2012, S. 15–28. Online: Cairn.info, <http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=TDM_018_0015>, Stand: 21.04.2017.
Partie 1 : Les visionnaires et “la question des origines”
Sources
As we may think (1945)
Vannevar Bush:
As We May Think, 1945.
Traduction française par Masure, Anthony: Bush, Vannevar: Comme nous pourrions penser, Le Design des programmes, 1945, <http://www.softphd.com/these/traduction/vannevar-bush-as-we-may-think>, Stand: 22.07.2016.
Mathématicien-physicien, gestionnaire de premier plan de la recherche scientifique américaine (il a été l’un des responsables du Manhattan Project pendant la guerre), Vannevar Bush (1890-1974) était aussi un visionnaire de l'information scientifique. Son texte phare, « As we may think », commencé en 1939 et publié en 1945, est considéré aujourd'hui comme un texte fondateur, au croisement de plusieurs histoires : celles des méthodes de recherche d'information, des communautés scientifiques, de la gestion de l’IST, du microfilm et, surtout, de l’hypertexte, dont il pose tous les principes et qu’il tenta d’incarner dans un dispositif technique imaginaire, le Memex. S’il n’a pas anticipé explicitement l’informatique et encore moins les réseaux, son texte a servi de référence constante à plusieurs pionniers d’internet et du web (dont Engelbart et Berners-Lee).
Voir aussi "Internet Pionners : Vannevar Bush"
Augmenting Human Intellect (1962)
Douglas C. Engelbart:
Augmenting Human Intellect. A Conceptual Framework, 1962.
Selon son propre témoignage [1], la lecture de l’article de Bush en 1945 a constitué pour Douglas Engelbart (1925-2013) une sorte « d’illumination », qui orienta tous ses travaux ultérieurs. Cet ingénieur en informatique de Stanford a ainsi consacré sa vie à l’amélioration de l’efficacité intellectuelle des individus et de la capacité à résoudre des problèmes complexes. Le concept « d'augmentation », présenté dans ce texte canonique de 1962, servira de cadre théorique à toutes ses inventions majeures : les interfaces graphiques, la souris, le premier hypertexte collectif (NSL). Engelbart a joué également un grand rôle dans le projet ARPANET.
Voir aussi "Internet Pionners : Douglas Engelbart"
[1] Voir notamment sa lettre à V. Bush : Engelbart, Douglas C.: Letter to Vannevar Bush and Program On Human Effectiveness, in: Nyce, James M.; Kahn, Paul (Hg.): From Memex to hypertext : Vannevar Bush and the mind’s machine, San Diego, Calif 1992, S. 235–244.
L’hypertexte, Xanadu et la réedition virtuelle (2013)
Ted Nelson:
L’hypertexte, Xanadu et la réedition virtuelle, 24.04.2013.
Si Bush en a exposé les principes, c’est Theodor Holm Nelson (dit Ted Nelson) (né en 1937) qui forgea le terme hypertext (défini comme « une lecture-écriture non linéaire ») en 1965. Ce sociologue américain s’est passionné dès 1960 pour les ordinateurs et a lancé alors le projet Xanadu, « horizon absolu de l’hypertexte » selon le mot de Pierre Lévy. Poursuivi par Ted Nelson pendant des décennies, ce rêve de bibliothèque universelle, dans laquelle tous les documents, produits par tous les individus, seraient reliés les uns aux autres, non seulement a préfiguré le web mais il l’a dépassé par ses ambitions (notamment avec le concept de lien à double sens et un système de droits très sophistiqué). Le texte signalé ici est composé de plusieurs extraits de l’oeuvre de Ted Nelson et expose les principes de Xanadu.
Voir aussi : "Internet Pionners : Ted Nelson", cette vidéo où Ted Nelson présente Xanadu et "The XANADU® Parallel universe".
Reminiscences on the Theory of Time-Sharing (1983)
John McCarthy:
Reminiscences on the Theory of Time-Sharing, 1983.
John McCarthy (1927-2011) est surtout connu pour avoir été l’un des pionniers de l’Intelligence Artificielle, avec Marvin Minsky. Mais il a marqué aussi l’histoire de l’informatique et, de manière indirecte celle d’Arpanet, par son rôle majeur dans l’émergence d’un nouveau type de système d'exploitation des ordinateurs : le temps partagé (time sharing). Selon ses propres souvenirs, exposés dans ce texte, John McCarthy fait remonter ses premières idées sur le time-sharing à 1955, lorsqu'il est confronté aux nombreux défauts (notamment la lenteur d’exécution des tâches) du système alors en vigueur, le traitement par lots (batch processing). Il formalisera les caractéristiques du time-sharing dans un Memorandum en 1959 (« Memorandum to P. M. Morse Proposing Time-sharing »), et ouvrira la voie à un nouveau modèle d’ordinateur, permettant le partage des ressources et l’interactivité avec l’utilisateur, qui sera l’une des origines, quelques années plus tard, du projet Arpanet.
Man-Computer Symbiosis (1960)
J. C. R Licklider:
Man-Computer Symbiosis, Palo Alto 1960.
Joseph Carl Robnett Licklider (1915-1990), surnommé Lick, est incontestablement l’un des inspirateurs directs d’Arpanet et, au-delà d’Internet, à la fois au plan organisationnel (il est le créateur de l’IPTO au sein de l'ARPA), théorique, voire prophétique. Ce chercheur en psycho-acoustique, aux talents multiples d’ingénieur (il a participé à la construction d’un système de temps partagé chez BBN, Bolt Beranek & Newman), de manager de la recherche, de penseur de l’informatique (avec des visions prémonitoires du monde des réseaux, des bibliothèques numériques), est le principal théoricien de l’informatique interactive au début des années 60, et il a influencé et marqué profondément de nombreux chercheurs. Le texte sélectionné ici, sur la « symbiose homme-machine », publié en mars 1960, est son premier texte théorique sur le nouveau modèle d’une informatique interactive, en rupture complète avec le modèle dominant. Ce texte visionnaire, témoignant d'une conception nouvelle de l’ordinateur, considéré comme une technologie intellectuelle, et des rapports homme-machine, « a fourni un guide à suivre pour des décennies de recherche en informatique », selon le mot de Robert Taylor, son successeur à l’ARPA/IPTO.
Voir aussi "Internet Pionners : J.C.R. Licklider"
Articles de recherche
Cold war and white heat (1999)
Janet Abbate:
Cold war and white heat. The origins and meanings of packet switching, Buckingham 1999.
Internet ou la communauté scientifique idéale (1999)
Patrice Flichy:
Internet ou la communauté scientifique idéale, 1999.
Les origines hippies de la révolution digitale (2012)
Dominique Cardon:
Préface : Les origines hippies de la révolution digitale, Caen 2012.
Partie 2 : Le réseau des réseaux, entre technique et politique
Sources
Brief History of the Internet (2003)
Barry M. Leiner, Vinton G. Cerf, David D. Clark . et al.:
Brief History of the Internet, 2003.
L’histoire d'Internet racontée par ses propres acteurs ! Ce texte est important à double titre : par la qualité de ses auteurs et par son contenu. En effet, il a été écrit par neuf acteurs majeurs de l’histoire d’Arpanet et d’Internet, dont Vinton Cerf et Robert Kahn, inventeurs de TCP/IP, Leonard Kleinrock, pionnier de la transmission par paquets, Larry Roberts, responsable du projet Arpanet à l'ARPA/IPTO en 1967-69, Jon Postel, qui a été l’éditeur des RFC (Request For Comments). Sur ce plan, il constitue donc une source de première main et un témoignage irremplaçable sur la genèse d’Arpanet et le développement d’Internet. Outre l’historique complet qu’il fournit, ce texte permet aussi de tordre le cou à la « fausse rumeur selon laquelle le réseau ARPANET était lié à la construction d'un réseau résistant à la guerre nucléaire ».
INWG and the Conception of the Internet (2011)
Alexander McKenzie:
INWG and the Conception of the Internet. An Eyewitness Account, 2011.
Ce témoignage, paru en 2011 dans IEEE Annals of the History of Computing, revient sur les débats internationaux engagés autour des protocoles de l’Internet dans la seconde moitié de la décennie 1970. Entré en 1967 chez Bolt, Beranek and Newman, entreprise qui joua un rôle fondamental dans le développement du réseau Arpanet, Alexander McKenzie témoigne notamment des vives discussions entre équipes et chercheurs au sein de l’International Network Working Group (INWG), formé lors de la conférence qui voit la première démonstration publique d’Arpanet en 1972. Il nous rappelle que les réflexions sur l’émergence des protocoles de l’Internet se sont nourries d’apports internationaux (notamment français et britanniques) et que la « République des informaticiens » est loin d’être exempte de tensions (géo)politiques, tandis que les voies techniques sont âprement débattues.
30 Years of RFCs (1999)
RFC Editor et al.:
30 Years of RFCs, 07.04.1999.
Les Request for Comments sont des spécifications techniques, éditées à l’origine sous forme manuelle puis en ligne, qui constituent une extraordinaire mémoire ouverte et accessible à tous des évolutions techniques d’Arpanet puis d’Internet. La RFC n° 25555 vise à célébrer trente ans de RFCs depuis la première, écrite par Steve Crocker à UCLA en 1969 (RFC 1) et rend hommage à Jon Postel qui, pendant vingt-huit années, en a assumé la collection et l’organisation.
Cette RFC anniversaire comprend notamment les témoignages de deux pionnières de l’Internet : Joyce K. Reynolds (décédée en 2015) et Elisabeth Jake Feinler (1931-). En 2006, Joyce K. Reynolds est la première femme à s’être vue remettre le Jonathan B. Postel Service Award de l’Internet Society. À la mort de Jon Postel en 1998, elle est devenue, avec Robert Braden, co-responsable de la fonction d’édition des RFCs et a signé ou co-signé plus de 95 RFCs, dont certaines définissant le protocole Telnet. Elisabeth Jake Feinler a, quant à elle, travaillé avec Douglas Engelbart au sein du Stanford Research Institute à partir de 1972 et joué un rôle déterminant dans la mise à disposition en ligne des RFCs et des informations concernant le réseau (développement d’un serveur WHOIS).
The Net and Netizens
Michael Hauben:
The Net and Netizens. The Impact the Net has on People’s Lives, Los Alamitos, 1996.
Michael Hauben (1973-2001), utilisateur précoce des BBS (Bulletin Board System) dès l’âge de 12 ans, a été l’un des premiers à s’intéresser, en 1992, à Usenet et aux origines des forums de discussion, dont il était un fervent utilisateur. Imprégné de l’esprit de coopération et d’échange, qui animait les forums de discussion d’alors, il forgea en 1993 le terme de « Netizens », contraction de net citizen (citoyen du Net), pour désigner ces « communautés en ligne », annonciatrices du nouveau monde des réseaux informatiques. Sa mère, Ronda Hauben, chercheuse et journaliste, également membre des communautés en ligne, publia aussi dès 1993 plusieurs articles sur l’histoire de Usenet et d’Arpanet. Tous leurs textes, remarquablement documentés et riches d’informations, seront rassemblés pour former le livre « Netizens », publié en 1997, qui, sans être une œuvre d’historien, a constitué pendant longtemps l’une des sources les plus complètes sur la naissance d’Arpanet et de Usenet.
Remarks Prepared for Delivery by Vice President Al Gore (1994)
Al Gore:
Remarks Prepared for Delivery by Vice President Al Gore, 11.01.1994.
Vinton Cerf et Robert Kahn, les « pères » de TCP/IP, considèrent Al Gore comme le premier dirigeant politique à avoir vraiment saisi l’importance de l’Internet et contribué à son développement. Al Gore (1948-) s’investit dans le High Performance Computing and Communications Act en 1991 qui soutient un National Research and Education Network (NREN), initiative qui permet une diffusion plus large de l’Internet, en dehors du milieu des sciences informatiques. Vice-président sous la présidence Clinton, il soutient des investissements dans les secteurs des réseaux et de l’Internet, des initiatives du secteur privé, ainsi que l’accès à Internet pour les écoles et bibliothèques. Avec Ira Magaziner, conseiller du président Clinton, il contribue en 1998 à confier le management des noms de domaine à l’Icann. Ses discours sur les autoroutes de l’information trouvent des échos importants en Europe, dont témoignent le rapport européen dit Bangemann et celui de Gérard Théry en France.
Articles de recherche
The European Researchers’ Network (2000)
Francois Fluckiger:
The European Researchers' Network, 2000.
Privacy for Networked Computing (2010)
Sandra Braman:
Privacy for Networked Computing. 1969-1979, Oxford 2010
Partie 3 : Le Web, du CERN au “tournant 2.0”
Sources
Information Management. A proposal (1989)
Tim Berners-Lee:
Information Management. A proposal, 1989.
Conservé sur le site du W3C, ce document est la conversion en HTML d’une note rédigée en mars 1989 par le Britannique Tim Berners-Lee (1955-), qui travaille alors au sein de l’organisation européenne de recherche nucléaire (CERN), afin de convaincre son institution de l’intérêt de son système. Le WWW ne porte pas encore ce nom et l’ambition de Tim Berners-Lee, dont on notera qu’il fait explicitement référence aux recherches de Ted Nelson, est de réaliser un système de gestion de l’information basé sur l’hypertexte. En avril 1993, à la demande de Tim Berners-Lee, le CERN accepte de permettre l’usage libre et gratuit des protocoles du Web, un choix décisif pour la suite. La première conférence internationale du World Wide Web se tient au CERN en mai 1994. La même année, le fondateur du Web quitte l’Europe pour le Massachusetts Institute of Technology, qui devient le premier hôte du World Wide Web Consortium (W3C).
Getting Started with NCSA Mosaic (1993)
Marc Andreessen:
Getting Started with NCSA Mosaic, 08.03.1993.
Cet article de 1993 attire l’attention sur le rôle du navigateur graphique Mosaic dans la popularisation du Web. Marc Andreessen (1971-) y note que les recherches qu’il mène, notamment avec Eric Bina au sein du National Center for Supercomputing Applications (NSCA) de l’université d’Illinois, afin de développer ce navigateur graphique, « are indebted to Tim Berners-Lee and the World Wide Web project at CERN for their visions, ideas and common client library code ». Ceci rappelle à quel point la diffusion libre et gratuite des protocoles du Web a été déterminante pour l’avenir de celui-ci. En retour le succès du Web est aussi en partie lié à celui de Mosaic. Ses concepteurs s’installeront ensuite dans la Silicon Valley et lanceront des entreprises parmi lesquelles Netscape, dont il n’est pas nécessaire de souligner l’impact dans les années 1990, mais aussi le rôle dans le développement des cookies ou encore la bulle Internet.
A Declaration of the Independence of Cyberspace (2016)
John Perry Barlow:
A Declaration of the Independence of Cyberspace, 20.01.2016.
Version française: Barlow, John Perry: Déclaration d’indépendance du cyberespace, in: Libres enfants du savoir numérique, Paris 2012. Online: www.cairn.info, <http://www.cairn.info/libres-enfants-du-savoir-numerique--9782841620432-page-47.htm>, Stand: 25.07.2016.
Il y a tout juste vingt ans, John Perry Barlow (1947-) postait depuis Davos, sur un forum de discussion, une retentissante déclaration d’indépendance du Cyberespace. Celle-ci est passée à la postérité comme un des textes de référence d’une vision libertaire de l’Internet et de la gouvernance du Cyberespace, mais aussi du souci de défendre les libertés publiques au sein du « réseau des réseaux ». Fondateur avec Mitchell Kapor de l’Electronic Frontier Foundation, celui qui fut notamment parolier du groupe de rock Grateful Dead pendant plusieurs années, fait partie, comme Steward Brand, de ces hommes passeurs, médiateurs et rassembleurs, qui contribuent à une histoire politique et culturelle de l’Internet, du Web et des cultures numériques. Barlow réagit ici au Telecommunication Act, à un moment où Internet et le Web deviennent de plus en plus l’objet d’attentions et de tentatives de régulation politiques aux États-Unis mais aussi en Europe.
What Is Web 2.0 (2005)
Tim O’Reilly:
What Is Web 2.0, 30.09.2005
Si l’expression et le tournant dit 2.0 sont controversés et si les historiens ont montré que la participation commence bien avant le Web 2.0 (voir par exemple les recherches de Michael Stevenson), cette notion attire l’attention sur le dynamisme et les métamorphoses du Web après l’éclatement de la bulle Internet, le développement des blogs ou encore de Wikipedia. La notion de plateforme que développe également Tim O’Reilly (1954-) a été analysée dans des travaux académiques, notamment ceux de Anne Helmond et rencontre les recherches en STS, Internet et Code Studies. Fondateur de O’Reilly Media, maison d’édition spécialisée en informatique, Tim O’Reilly fait partie comme Chris Anderson (Wired) et quelques autres de ces figures dont les concepts, déclarations et discours ont un impact fort et débattu dans le paysage numérique.
Articles de recherche
The Web’s Missing Links (2007)
Thomas Haigh:
The Web’s Missing Links. Search Engines and Portals (Preprint), 2007.
L’Olympe de l’internet français (2012)
Nicolas Auray:
L’Olympe de l’internet français et sa conception de la loi civile, 01.01.2012.
Le serveur de pages personnelles Mygale (2014)
Olivier Trédan:
Le serveur de pages personnelles Mygale, 15.05.2014.