Histoires matérielles du papier
Résumé
Le papier est un matériau à la fois anodin et omniprésent. Malgré les efforts croissants de numérisation et les promesses d’un monde libéré du papier, il peuple encore notre vie quotidienne. Cette anthologie, en s’inscrivant dans la suite du « tournant matériel », propose d’aborder l’histoire du papier sous l’angle de ses matérialités. Il ne s’agit donc pas de considérer avant tout le papier comme une surface d’inscription qui porte des messages (ce qu’il est évidemment aussi), mais comme un matériau dont les qualités physiques comptent : il est léger et transportable, fragile et pliable, fabriqué à partir de toutes sortes de matières premières. S’attarder sur ces caractéristiques permet de rendre visible la présence au monde du papier et les nombreux rôles qu’il a joué pour les sociétés humaines : dans la création de choses et d’infrastructures, dans le maintien de relations diverses, dans la conservation de la mémoire et de l’histoire, et bien d’autres encore.
Reconnaissant le dynamisme des travaux sur le papier, qui proviennent de nombreux horizons disciplinaires, cette anthologie propose un découpage en chapitres (« Créer le papier », « Le papier circule », « Organiser (avec) le papier », « Manipuler le papier » et « Le papier persiste ») qui mettent en lumière différentes façon dont le papier agit et comment nous agissons avec le papier. Les travaux de recherche et ressources présentés dans cette anthologie, s’ils n’épuisent pas l’histoire du papier, cherchent à traverser différentes périodes historiques et contextes culturels, pour montrer toute l’amplitude du papier, véritable infrastructure de l’humanité.
Introduction
Le papier, vieil ami séculaire, nous accompagne, sous les formes les plus diverses, dans chaque geste de l’existence quotidienne, dans les occasions les plus graves et les plus futiles de la vie privée ou publique, dans les plaisirs du corps comme dans ceux de l’esprit, devant les représentants de l’autorité comme dans les fêtes sans lendemain : il est l’éphémère et la permanence, le sens et l’insignifiance, le précieux et le jetable, la mémoire et l’oubli.
— Pierre-Marc de Biasi1
Dans la chanson « Les p’tits papiers » (1965), écrite et composée par Serge Gainsbourg, la chanteuse Régine égrène une ritournelle où s’alignent toutes sortes de papiers : papier chiffon, papier buvard, papier de riz, papier d’Arménie, papier maïs, papier velours, papier tue-mouche, papier d’argent, papier-monnaie, papier collant, papier carbone, papier machine, papier musique, papier dessin, papier doré. Mieux encore, ces papiers font toutes sortes de choses : ils consolent, parlent, réchauffent, brûlent… Dans cette sarabande de papier, la folie côtoie la mort, l’argent et l’amour. Mais Régine et Gainsbourg ne se laissent pas impressionner, et la chanson termine avec une désinvolture implacable : « Papier à fleurs / Ou l’on s’en fout ».
Un rapide coup d’œil dans un dictionnaire2 laisse vite apercevoir que la liste de la chanson pourrait s’étirer encore et encore : les familiers papier journal, papier crépon, papier essuie-tout, papier kraft, papier bible, papier de soie côtoient les moins usités (ou plus désuets) papier autovireur, papier pelure, papier tontisse, papier tellière, et papier au ferroprussiate. On y croise même quelques imposteurs comme le papier d’aluminium ou le papier à bulles qui est, en fait, du plastique. Au passage, on ne manquera pas d’être émerveillé par la richesse des locutions qui incluent le mot « papier » : on peut être dans les petits papiers de quelqu’un, démasquer des tigres de papier, coucher des idées sur le papier, vivre une situation réglée comme du papier à musique, fabriquer de faux papiers, avoir une mine de papier mâché. Aux « p’tits papiers » de Gainsbourg et de Régine font écho des livres à l’édition « grand papier ».
Ce qui frappe, dans cet amoncellement, c’est l’amplitude du papier : il est à la fois à l’échelle de nos mains, tout petit et anodin, comme les feuilles de papier que nous manipulons quotidiennement (papier d’imprimante, Post-it, liste de courses, page d’un livre, ticket de métro, boîtes d’emballage déposées au pas de nos portes), mais également à une échelle immense, traversant les siècles et les cultures, dépositaire de la connaissance, de l’histoire, de la mémoire, de valeur monétaire, indice de l’administration, de la bureaucratie, de nos identités. On peut donc osciller sans cesse entre la désinvolture des petits papiers, et le constat que, même s’il se présente sous nos doigts comme quelque chose de fragile, pliable, facile à déchirer, le papier est l’une des infrastructures de l’humanité.
Malgré son omniprésence, le papier est aussi l'une des technologies contemporaines les plus invisibles et souvent sous-estimées. Si au cours du siècle dernier, beaucoup ont appelé de leurs vœux le « bureau sans papier », ils n’ont pas encore été pleinement exaucés. Nos environnements de travail sont devenus, tout au plus, des hybrides de numérique et d'analogique. Chaque fois que nous utilisons une carte bancaire pour effectuer un paiement, il reste la relique d’une relation contractuelle pendant longtemps articulée au papier monnaie. Pour chaque article vantant les mérites de la lecture sur écran, un lecteur s'accroche avec bonheur à son magazine de niche élégamment imprimé. Et si nous avons numérisé nos déclarations d’impôts, nos journaux et nos diplômes, nous vivons encore au milieu des logiques et des techniques du papier, et tout autour de nous peut nous rappeler comment le papier a façonné et transformé les sociétés modernes – il n'y a qu'à voir, par exemple, à quel point la forme et la logique des documents papier façonnent encore leurs versions numériques3. Pourtant, parce qu'il s'agit d'une « vieille » technologie, le papier est devenu largement absent dans les discours futuristes des enthousiastes des médias numériques qui y voient, tout au mieux, un problème matériel en passe d'être réglé par la numérisation.
Plusieurs formes, pratiques et systèmes de gestion de l’information contemporains sont, quand on y regarde bien, héritiers de siècles de développement du papier. Un plongeon historique est donc essentiel pour bien comprendre notre attachement au papier, et ses applications qui dominent encore nos imaginaires – il n’y a qu’à penser au fait que nos ordinateurs utilisent encore la métaphore de la corbeille à papier. Il est impossible de dater de façon exacte l'invention du papier : les premiers spécimens, découverts en Asie centrale, remontent au moins au IIe siècle avant notre ère, et le récit qu’on fait habituellement de l’histoire du papier avance qu'il a été inventé en Chine par Tsai-Lun en 105 avant notre ère. Nous savons cependant que son usage s'est répandu au IVe siècle, également en Chine. Il s'est ensuite déplacé vers l'ouest, au Proche-Orient (probablement en empruntant la route de la soie), où il s'est imposé au VIIIe siècle4. Dans cette migration, comme dans celles qui suivront, les matériaux utilisés pour fabriquer le papier ont varié en fonction de l'environnement local et des ressources disponibles. Alors qu'en Chine, on fabriquait du papier à partir d’écorce de mûrier, de chanvre ou de bambou, dans la péninsule arabique, où le sol est aride, on utilisait plutôt des chiffons de lin ou de chanvre. Le papier s'est ensuite répandu plus à l'ouest et au nord de l'Europe, en commençant par l'Espagne et l'Italie au XIe siècle, et est devenu si courant que l'Europe du début de la période moderne a pu être décrite comme « une culture du papier »5.
C’est en reconnaissant le caractère souvent fugace de notre attention aux différents papiers qui forment la trame de nos expériences quotidiennes, les strates de la société moderne et plus généralement l'expérience humaine que notre anthologie propose de s'interroger, dans une perspective historique, sur les manifestations matérielles du papier. En faisant passer notre mode d’attention de ce qui se trouve sur le papier — images, textes — vers le papier lui-même — couleur, texture, grain, volume, flexibilité, porosité, format, dimensions, épaisseur —, les textes de cette anthologie permettent d’en rendre visible la présence dans le monde et son rôle dans le maintien de relations diverses. Avec ses procédés de fabrication, ses usages et ses significations constamment renouvelés, ce sont de nouveaux mondes qu’a créés le papier au contact des sociétés qui se le sont approprié. L’ambition de cette anthologie est de mettre à disposition une liste de textes et de ressources réunis par le fil conducteur des histoires matérielles du papier.
Penser les matérialités du papier
La proposition de notre anthologie s’inscrit dans un moment particulier des sciences humaines et sociales, et en particulier dans un changement paradigmatique que le philosophe des médias John Durham Peters nomme le passage du structuralisme à l’infrastructuralisme. S’éloignant de l’analyse des systèmes de signes et significations, qui était le motif du structuralisme, Peters suggère l’infrastructualisme comme une « doctrine des environnements et des petites différences, des portes étroites et du chas des aiguilles, des choses méconnues qui se logent sous nos mondes »6.
Le concept d’infrastructuralisme fait écho à ce qu’on nomme le « tournant matériel », c’est-à-dire une convergence d’approches autour de la question des matérialités, qui a traversé différentes disciplines. Un certain nombre d'approches théoriques telles que le matérialisme critique, le nouveau matérialisme ou « l’ontologie orientée-objet » se sont déployées dans un espace de réflexion interdisciplinaire7. Dans les études médiatiques, par exemple, plusieurs traditions ont proposé des outils conceptuels pour l’analyse des formes et des supports matériels des médias, mettant entre parenthèses l'interprétation du contenu. Les traditions académiques bien établies de la théorie canadienne des médias8 et les théories médiatiques allemandes9 soutiennent que les matérialités de la communication font partie intégrante de notre expérience des médias et offrent de nouvelles possibilités afin de penser l'expérience humaine (et son interaction avec les non-humains). Ces approches théoriques sont considérées comme précurseures de divers paradigmes de recherche qui s’intéressent aux objets et aux choses, notamment les études des médias logistiques, les études critiques des infrastructures, la philosophie des médias élémentaires, les études médiatiques environnementales et les leçons de choses10. De la même façon, on a aussi vu dans des disciplines variées telles que la géographie, l'histoire, les sciences de l'information, l'archivistique, les études cinématographiques, l'anthropologie, la littérature et les arts, les études de la science et des technologies ou encore le design, un intérêt croissant pour la recherche sur les objets et leur rôle dans la production de connaissances. Le tournant matériel a refaçonné à bien des égards certaines théories, des programmes de recherche, voire des champs disciplinaires entiers.
Le tournant matériel a également eu des échos dans des travaux récents de chercheur·euses, d’auteur·ices, d’archivistes ou d’artistes qui abordent le papier de différentes manières. Parmi ceux-ci, notons par exemple que le papier est saisi en tant que substrat, symbole et environnement dans les études en littérature, en philosophie et en arts11 ; en tant que produit des industries des pâtes et papiers tel qu’abordé dans des récits documentaires12 ou dans des histoires des industries papetières13; comme support de pratiques informationnelles et documentaires14; comme surface et médium par les historien·nes de l’art15 ; comme trace écrite par les approches d’études légales16; comme indice de gouvernementalité par certains travaux anthropologiques17; comme manifeste du travail genré18. Malgré leur relative hétérogénéité, ces travaux nous permettent de constater, en filigrane, à quel point le papier remplit des fonctions sociales, politiques, économiques, culturelles et épistémologiques.
En plus de ces développements récents liés au tournant matériel des sciences humaines et sociales, plusieurs disciplines, telles que l’histoire du livre, l’archivistique et la bibliographie19 ont depuis longtemps bâti des outils et des connaissances à propos du papier et de ses matérialités. Les bibliographes, par exemple, ont accumulé une expertise pour dater et situer le papier, notamment à travers l’étude et l’inventaire des filigranes et autres outils de la codicologie. Des associations académiques à travers le monde et plusieurs groupes de recherche se sont organisés autour du papier, notamment l’International Association of Paper Historians (IPH), l’Association française pour l’Histoire et l’Étude du Papier et des Papeteries (AFHEPP) et la British Association of Paper Historians (BAPH)20, pour n’en nommer que quelques-unes. De nombreuses revues académiques et numéros thématiques ont également permis d'apporter un éclairage sur la longue et riche histoire du papier, tandis que plusieurs bibliographies fournissent un aperçu transdisciplinaire de la recherche sur le papier.21 Le grand public peut quant à lui se familiariser avec l’histoire du papier à travers différentes expositions présentées dans des musées, archives ou collections privées, lesquelles donnent accès à des récits locaux sur l’industrie papetière, sur les arts du papier, ou sur les instruments, les matériaux et les techniques de fabrication du papier.
Nous ne sommes donc pas les seul·es à reconnaître le dynamisme de la recherche sur le papier en tant que matériau, ni à reconnaître la richesse analytique, explicative et descriptive qu'offre le papier. Notre contribution réside dans le mode d’attention particulier qui a guidé la constitution de cette anthologie : nous avons sélectionné ici des textes qui rendent visible l’importance du papier comme matériau ou comme objet, et qui le considèrent pour toute la diversité de ce qu’il est et ce qu’il fait. En effet, le papier n'est pas que le support de textes : il décore les murs, il est plié pour créer des formes, il sert d'emballage, il est le produit de pratiques industrielles et artisanales, il est une ressource qui s'achète, s'échange et se recycle, il peut brûler ou encore devenir le substrat de champignons et de moisissures, il fait l'objet d'efforts de préservation, il est objet d'art et de bricolage. Le papier produit et entretient des relations, il est le support d'ouvrages savants et littéraires, mais on le trouve aussi dans les cuisines, les hôpitaux, les bureaux, les banques, les bancs de métro et les guichets. C’est ce qui fait dire à l’auteur Ian Sansom que « nous vivons dans un monde de papier ».22
La création de ce Living Book découle du collectif Paperology, un groupe de lecture et d’activités collaboratives sur le papier fondé à l’automne 2020 par les éditeur·ices de cette anthologie. La constitution de plusieurs listes bibliographiques23 a été l’un des chantiers de Paperology et ce Living Book en résulte. Vu l’étendue des travaux disponibles sur la question, la constitution d’une anthologie sur l’histoire du papier ne peut être ni exhaustive ni définitive. Sans chercher à les résoudre, nous nommons ici quelques-uns des enjeux qui ont traversé notre réflexion. D’abord, l’anthologie que nous proposons n’a pas un ancrage disciplinaire unique et reflète la transdisciplinarité de la recherche sur le papier. Les lieux à partir desquels on s’est intéressé au papier sont nombreux et hétérogènes, ce qui rappelle encore une fois l’ubiquité du papier dans les champs de l’action humaine. S’il était institutionnalisé, un champ des « études sur le papier » serait intrinsèquement interdisciplinaire, comme le sont par exemple les études culturelles ou les études sur le genre, recoupant non seulement plusieurs traditions académiques mais aussi les domaines des arts, de l’architecture, de la politique et de la technologie. Un deuxième constat porte sur l’impossibilité d’exhaustivité d’une telle liste. Cette anthologie n'est pas une présentation complète des travaux sur les matérialités du papier, mais nous espérons qu'elle servira de point d'entrée, que ce soit pour ceux et celles qui sont submergés par l’ampleur de la littérature sur le papier et les objets en papier, pour ceux et celles qui cherchent à bâtir un cours ou un séminaire sur le papier, ou simplement pour les lecteurs·rices qui en sont à leurs premières explorations des mondes du papier. En effet, une fois qu’on commence à aborder les travaux de recherche à travers le prisme du papier, on découvre qu’il est, comme dans la vie quotidienne, toujours déjà là.
La structure de ce Living Book
Au regard de ces enjeux, nous avons choisi de structurer l’anthologie autour de verbes qui évoquent des actions : « Créer le papier », « Le papier circule », « Organiser (avec) le papier », « Manipuler le papier » et « Le papier persiste ». En faisant varier les angles — il s’agit d’explorer comment le papier est fait, ce que le papier nous fait et ce que nous faisons avec le papier — ces découpages suggèrent que le papier est tour à tour et tout à la fois objet et sujet. Certaines thématiques se retrouvent donc dans plusieurs chapitres, car elles traversent les mondes du papier sans qu’on puisse épuiser leurs sens ou leurs implications. Chaque verbe contient aussi une certaine richesse de significations et chaque chapitre interpelle les autres : créer le papier, par exemple, c’est à la fois l’inventer, le fabriquer, et regarder l’ensemble des conséquences que ses processus de fabrication peuvent avoir. Organiser le papier suppose entre autres de mettre en place les conditions de la persistance du papier dans le temps (par la constitution d’objets, de institutions, de lieux à cet effet) mais renvoie également aux réseaux de circulation nécessaires pour s’organiser avec le papier. La démonstration de toutes les résonances et les voies de passage possibles entre les différents chapitres de notre anthologie pourrait s'allonger, mais il suffit sans doute pour cette introduction de signaler ce foisonnement de relations.
D’autres logiques ont également façonné la sélection des textes de cette anthologie, parmi lesquelles un certain équilibre entre des textes publiés en français et en anglais, et décrivant des usages ou la production de papier dans diverses régions géographiques et à différentes époques. À ce sujet, on remarquera que l’ordre des textes ne cherche pas à tracer un arc chronologique de l’histoire du papier : le découpage est plutôt thématique, ce qui autorise des allers et retours dans diverses périodes historiques que nous espérons stimulants. Par ailleurs, et c’est la raison d’être d’un Living Book, notre anthologie a été guidée par la disponibilité des textes en accès libre. De nombreux auteur·ices et ouvrages significatifs ne s’y retrouvent donc pas. Chaque chapitre présente aussi des « suppléments » : il peut s’agir de vidéos, de sites web, d’articles, de billets de blogue, de liens vers des projets artistiques ou d’humanités numériques. Autre indice de l’étendue de l’intérêt pour le papier, ces ressources complémentaires sont de précieux outils pour l’enseignement ou, simplement, une petite collection de curiosités.
Chapitre 1 : Créer le papier
D’où vient le papier ? Comment, quand et où a-t-il émergé ? Le papier a fait l’objet de transferts, d’appropriation, de diffusion, d’adaptation, de modes, d’oublis. Nous proposons dans ce premier chapitre quelques ressources qui abordent l’émergence de « cette invention capitale »24 qu’est le papier, comme objet et comme concept. N’est en effet pas papier n’importe quelle surface d’inscription : s’il y a un certain consensus autour du fait que le papier est un matériau fait d’une pâte de fibres végétales, étalée et séchée en feuilles minces, d’autres surfaces sur lesquelles on laisse des inscriptions, telles que l’écorce de bouleau25, le papyrus ou le bambou, peuvent être considérées comme des « presque-papiers », comme le nomme joliment Dupuigrenet-Desroussilles dans La galaxie Tsaï-Loun. Plusieurs textes de ce premier chapitre placent les jalons principaux de l’histoire du papier. Les lecteur·ices y trouveront sans surprise un extrait d’un classique de l’histoire du livre, écrit par les historiens français Lucien Febvre et Henri-Jean Martin en 1958. Dupuigrenet-Desroussilles et Bloom proposent quant à eux dans leurs textes respectifs deux récits spécifiques du développement et de la circulation du papier, qui montrent notamment bien qu’il s’agit, dès le début, d’une histoire mondiale.
S’interroger sur la création du papier ne s’arrête pas à la question de « l’invention », aussi ce chapitre offre-t-il plusieurs textes éclairant les enjeux liés à la fabrication du papier. Faire du papier implique non seulement de donner forme à un « matériau », mais cette opération implique aussi des savoirs, des techniques, des instruments, des méthodes, des gestes. Le texte de Bloom, par exemple, aborde l’histoire de la circulation des techniques de fabrication du papier au début du Moyen-âge. De la même façon, la « création » du papier doit être sans cesse renouvelée et semble sans fin : puisque sa longévité est limitée, le papier ne survit que si les connaissances et technologies entourant sa production perdurent. À travers cette histoire, on constate aussi que le papier est un matériau malléable, qui s’adapte en quelque sorte aux matériaux disponibles dans certaines régions et à certaines époques26. La production du papier a donc été traversée d’améliorations, de modes et de variations régionales. Artisans comme industriels du papier ont affiné leurs techniques de production et, ce faisant, ont laissé des traces de leurs méthodes à même le papier. Georgina Wilson propose en ce sens une étude fascinante de l’histoire des filigranes : en analysant le cas du folio Sejanus His Fall (1605), l’autrice donne à voir le travail des papetiers et des chiffonniers qui ont fourni le matériau de base sur lequel le texte est écrit. Le cas du papier bleu azuré hollandais produit au XVIIIe siècle, abordé par le texte de Dena Goodman, est quant à lui un épisode fascinant de la production du papier : cette couleur caractéristique rendait visibles les méthodes de production d’une manière éclatante.
Enfin, créer le papier a aussi un coût et des implications industrielles, sociales et environnementales : les derniers textes de ce chapitre abordent l’exploitation de ressources, dont la transformation en papier est tributaire de travailleurs et d’industries. On se déplace ici sur le continent nord-américain pour explorer la fabrication du papier-monnaie à partir de chiffons aux États-Unis, décrite dans le texte de Jonathan Senchyne27, et la production de papier à partir des ressources en bois du Canada (voir le texte d’Aleksandra Kaminska et Rafico Ruiz et le court-métrage de LaRoche produit par l’Office national du film du Canada).
Chapitre 2 : Le papier circule
C’est presque un cliché en études de la communication de dire que le papier est un média à « biais spatial ». Par le concept de « biais », l’économiste canadien Harold Innis (qui allait inspirer certaines des théories de Marshall McLuhan) cherchait à expliquer l’incidence des supports d’écriture sur l’exercice du pouvoir et sur les types d’organisations politiques28. Ainsi, l’écriture sur argile favoriserait des organisations qui allaient persister dans le temps et maintenir une continuité dans les systèmes de pensée ; l’écriture sur papier allait plutôt favoriser l’exercice du pouvoir dans l’espace, la centralisation et la bureaucratie. La proposition d’Innis met particulièrement bien en lumière l’une des fonctions premières du papier : sa capacité à circuler. Plus éphémère, fragile et instable que d’autres supports, le papier met en forme, par sa légèreté et sa mobilité.
Le chapitre 2, « Le papier circule », propose plusieurs déclinaisons de cette notion de circulation, notamment à travers différents moments dans le cycle de vie du papier. La circulation du papier en tant que ressource, produite et vendue, est abordée par Daniel Bellingradt et Céline Gendron. Le commerce du papier repose ici sur des réseaux de transport, souvent transnationaux, qu’empruntent parfois aussi d’autres biens. Ces travaux qui croisent histoire économique, politique, culturelle et administrative permettent de voir dans quelle mesure le commerce du papier repose sur de vastes systèmes d’échanges. Une deuxième perspective dans ce chapitre interroge la circulation du papier comme support de communication à distance. Qu’il s’agisse de cartes commerciales (voir le texte de Philippa Hubbard), de lettres ou de rapports, de passeports ou d’indulgences, les papiers de différents formats et pour différents usages traversent les espaces privés et publics, s’échangent de mains en mains ou empruntent des infrastructures matérielles qui leur permettent de voyager. L’importance du papier comme moyen de communication à distance se voit ultimement aussi dans la mise en place d’infrastructures, ce que cherche à rendre visible la cartographie numérique Gossamer Network en montrant les éléments matériels qui forment la charpente du système postal américain à ses débuts.
Il faut toutefois noter que la fonction de circulation du papier est souvent transitoire, et parfois même absente : ce journal intime que nous espérons ne jamais tomber aux mains de lecteurs, ce contrat de vente mis rapidement à l'abri des regards, ces cartes de souhaits conservées dans une vieille boîte à chaussure. Archives et bibliothèques sont en fait les hauts lieux de la préservation de la culture et des savoirs couchés sur papier, l’un des supports privilégiés via lequel nous pouvons questionner le passé. La préservation du papier en érode la circulation : elle immobilise le papier pour le faire perdurer dans le temps29. Le texte de Heather Blum, Dead Letter Reckoning, rend visible cette tension entre mobilité et fixité : les navigateurs des régions polaires au XIXe siècle rendaient compte des détails de leurs expéditions en laissant dans des lieux fixes des missives et des rapports. La circulation de ces documents demeure latente et montre bien le défi de surmonter les limites du temps aussi bien que celles de l’espace.
Chapitre 3 : Organiser (avec) le papier
Le papier possède de nombreuses qualités, dont celle de pouvoir s’empiler. Disponible et peu coûteux, il a ouvert la voie à l’administration et la bureaucratie, à tel point que la gestion sans fin de la « paperasse » continue à nous occuper30. Dans l’histoire, le papier a engendré encore davantage de papier; pensons à toutes ces communications en face-à-face ou encore ces tractations diplomatiques qui se sont déplacées vers la page. Dès son origine, le papier a été utilisé pour des fins d'administration et a été le support de documents officiels, mais c'est à son arrivée dans la péninsule arabique qu'il s'est véritablement épanoui en tant qu'outil de gouvernance étatique, d'autorité religieuse et de comptabilité. Si le papier était déjà utilisé au Moyen Âge en Europe, c'est au début de la période moderne qu'il s’est banalisé, alors que les plus grandes organisations se sont progressivement tournées vers ce qu’on peut nommer un « règne par le papier » : royaumes, empires, organisations religieuses et commerciales se sont mis à tenir des registres avec zèle, multipliant les traces écrites de leurs affaires.31 Un cas bien connu de cette période est celui du « roi de papier », Philippe II d'Espagne32 : à force d’envoyer et de recevoir des papiers, il est devenu victime d’un sentiment que beaucoup d'entre nous ne connaissent que trop bien, la surcharge d'information (un sentiment qui traverse les époques, comme l'illustre aussi, de manière psychédélique, un film publicitaire de 1967, Paperwork Explosion). Ensuite, en Europe, le papier devient de plus en plus utilisé dans la vie quotidienne, pas seulement par les élites, mais aussi pour les correspondances, les factures, les contrats, les affiches, les pamphlets, les bulletins de vote et bien d'autres choses encore. C'est « l'ère du papier », une époque où « [le] papier est devenu, comme jamais auparavant, le support des transactions, le dépositaire de la mémoire personnelle, collective et institutionnelle, le moyen de communication, le coeur des bureaucraties, le fondement et le reliquat de l’apprentissage. »33.
Deux grands problèmes sont nés de cette abondance de papier. Tout d'abord, comment organiser toute cette paperasse, désormais produite au nom de l'information et de la comptabilité ? Deuxièmement, comment le papier pouvait-il opérer ce travail d'organisation ? Le défi du stockage et de la récupération a été relevé par de petites et grandes solutions. Au niveau individuel, plusieurs formats dédiés à la compilation ont émergé, soutenant la collection et la préservation de divers bouts de papier de manière plus ou moins systématisée : les « commonplace books » (un terme qu’il n’est pas facile de traduire en français, qui désigne des carnets où l’on rassemble divers fragments hétéroclites), les scrapbooks, les livres de recettes (décrits par Elaine Leong) ou les carnets de notes (étudiés par Claire Bustarret).34. Dans le monde du travail, on a vu se développer des formes de papiers spécialisés tels que les cartes de visite, les rolodex, les dossiers, mais aussi, pour les ranger, les classeurs (dans lesquels plonge le texte de Craig Robertson). Enfin, à plus grande échelle encore, nous avons assisté à l'essor des archives institutionnelles et nationales, lieux de mémoire où sont déposées les traces de la gouvernance.35 L’accumulation de papier s'est aussi accompagnée de la nécessité de mettre en place des systèmes de recherche : des systèmes simples comme l'alphabétisation, mais aussi des types d'ordonnancement plus ambitieux et plus conséquents comme les taxonomies et les systèmes de classification (dont les projets de Paul Otlet sont un exemple bien connu) ou ce que nous appellerions aujourd'hui la gestion de l'information36.
Le papier est devenu un outil d’organisation sans pareil, en partie parce qu'il a permis la standardisation des documents. Les affordances du papier et sa disponibilité ont facilité la production de documents normalisés, tels que des certificats ou des papiers d'identité (ce sont ces papiers-là auxquels on pense immédiatement dans les expressions « vos papiers ! » et « sans-papiers »), dont beaucoup sont devenus officiels, significatifs ou possédant une autre forme de valeur du fait de leur forme. Cette performance de l'autorité à travers la matérialité et l'esthétique du papier bureaucratique est au cœur du texte de Julien Bonhomme sur les « passeports » religieux au Congo. Le papier s'est également avéré être le support idéal pour de nouvelles techniques et logiques d'inscription, aux formats divers : notamment les registres, les reçus, les formulaires vierges ou, comme l'explique Liam Cole Young, les listes37. Au détour de tous ces systèmes d'organisation du papier, nous voyons également comment le papier nous organise, qu’il s’agisse de nos modes de pensée, nos souvenirs, nos hiérarchies, aussi bien que notre vie quotidienne, nos modes de diffusion de la connaissance, nos sociétés et nos imaginaires.
Chapitre 4 : Manipuler le papier
Les textes rassemblés dans le chapitre 4, « Manipuler le papier », témoignent de certaines des qualités matérielles du papier et plus particulièrement, évoquent comment une feuille de papier est aussi souvent une invitation à être touchée et manipulée : elle peut être pliée, percée, trouée, déchirée, épinglée, sculptée, découpée, fendue, chiffonnée. On voit ici se dessiner un rapport intime entre nos mains et le papier, qui montre aussi à quel point le papier peut être expressif, et ce bien au-delà des mots qui peuvent y être écrits ou imprimés. Ainsi, avec les cartes de Saint-Valentin de la deuxième moitié du XIXe siècle décrites par Christina Michelon, c’est la tactilité du papier qui crée l’émotion, plutôt que les messages très génériques qui y sont inscrits. Le papier est donc expressif en lui-même, et c’est de cette qualité que s’emparent certains artistes,38, qu’ils réalisent des livres-sculptures ou jouent avec les permutations et la variété de motifs créés par la découpe, le pliage et le collage39 (voir le texte d’Adam Smyth et les entrevues avec les artistes Myriam Dion et Alexandre Melay). Plusieurs artistes sortent de la page en tant qu’espace plat et investissent toutes les dimensions du papier, incluant celles que son absence crée – l’artiste Myriam Dion aime par exemple décrire son patient travail de découpe avec le verbe « ajourer », c’est-à-dire qu’elle cherche à mettre en valeur la capacité du papier à laisser passer le jour et la lumière. Mais l’expressivité du papier peut aussi être politique, comme on le voit dans le texte de Patricia Crain sur les bulletins de vote, ou même religieuse comme dans le cas des offrandes de papier que l’on brûle à Hong-Kong, évoquées dans le texte de Janet Lee Scott. Penser le papier en association étroite avec la main (le « fait-main ») va donc au-delà de la question de la fabrication (artisanale ou industrielle) du papier, mais évoque aussi tous les gestes, ou les « faire40» que le papier permet. Ceux répertoriés dans les textes de ce chapitre montrent donc toute une gamme de savoir et de savoir-faire acquis en manipulant le papier, tant dans les sphères domestiques que savantes, ou justement au confluent des deux41.
Chapitre 5 : Le papier persiste
Le dernier chapitre, « Le papier persiste », s’interroge sur les devenirs (passés et futurs) du papier. Les textes y esquissent une tension entre destruction et conservation. Le papier a ceci de fascinant qu’il est éminemment fragile mais aussi étonnamment robuste. Les menaces qui pèsent sur l’intégrité physique des artefacts de papier sont nombreuses : réduits en fragments par une déchiqueteuse (cette machine vorace qu’évoque Sarah Blacker), déchirés volontairement (comme le montre le travail de Maureen Flint) ou non, sujets à différents processus de biodétérioration42, qu’ils soient dévorés par des parasites, à la merci de l’eau, de l’humidité ambiante et des moisissures43. Mais les frontières de vie et de mort du papier sont loin d’être évidentes : quand exactement le papier commence-t-il, quand termine-t-il ? Plutôt que sujet à un début et une fin clairs, le papier semble au cœur de nombreux processus de transformation, et ce tant en amont qu’en aval de ce qu’on conçoit de prime abord comme ses usages principaux en tant que support documentaire. En effet, le papier a longtemps été le produit d’un processus qu’on qualifierait aujourd’hui de recyclage, puisqu’il était fabriqué à partir de chiffons, des textiles qui sont arrivés à la fin de leur vie utile et qui sont l’objet d’intenses activités de récupération et de réutilisation. Après avoir été utilisé comme support documentaire, le papier peut à son tour connaître de nombreuses réutilisations, pour griffonner des notes au verso ou dans les marges, comme papier d’emballage ou comme matériau destiné au recyclage. Au fil de ces transformations, la destruction et la survie s'entremêlent44 : comme le montre le texte de Malcolm Walsby, c’est parce que certains livres du XVe, XVIe et XVIIe siècles jugés inutiles ou de moindre valeur ont été dépecés et réutilisés (ici, pour renforcer une couverture, là pour réparer une page fragile) que les historiens du livre peuvent aujourd’hui arriver à recomposer ces ouvrages qui, autrement, ne nous seraient jamais parvenus.
Les textes et suppléments de ce chapitre esquissent également une ligne de tension entre papiers éphémères et permanents. D’un côté, la catégorie fourre-tout des « éphémères« (les ephemera en anglais, parfois désignés sous le nom de « vieux papiers » en français) rassemble un ensemble hétéroclite de papiers qui ont pour point commun de ne pas faire l’objet d’efforts d’organisation, de collection et de préservation comme les livres.45 Ces « non-livres », qu’il s’agisse de cartes à jouer, de prospectus publicitaires, de cartes de vœux ou de billets de métro ou de spectacles, posent des questions passionnantes de catégorisation conceptuelle, de politiques d’archivage et de conservation, évoqués dans le texte d’Olivier Belin et de Florence Ferran. Les enjeux de conservation du papier s’expriment aussi, à l’autre bout du spectre, dans le travail de coordination nécessaire pour déterminer une norme internationale ISO de « papier permanent », évoqué par Lucie Favier. À ces différents paradoxes du papier — fragile et robuste, éphémère et permanent — on pourrait aussi ajouter celui du prix à payer pour sa persistance à travers le temps : pour préserver la mémoire, nous conservons des manuscrits, des livres et des documents dans des environnements à atmosphère strictement contrôlée, dont de plus en plus de voix questionnent le coût environnemental.
* * *
Tous les textes et les ressources présentés dans ce recueil témoignent d’une histoire vibrante du papier. Si cette anthologie aborde le papier de manière historique, il ne faut pas pour autant en conclure que le moment du papier est derrière nous. Les multiples pratiques et usages contemporains du papier vont en effet continuer à peupler les histoires matérielles dont nous esquissons un récit ici, au même titre que les papetiers chinois, les marchands italiens, ou les forêts canadiennes des siècles passés.
Nous sommes sensibles, enfin, à l’ironie de proposer une anthologie sur le papier sous forme entièrement numérique. Tous les textes regroupés ici sont en effet disponibles en ligne et il est probable que la plupart des lecteur·ices les rencontreront via des écrans, ne leur permettant donc pas d’expérimenter la tactilité du papier, son odeur, ses textures, sa fragilité en tant qu’expérience vécue. Nous espérons que cette absence sera productive, et qu’elle permettra aux lecteur·ices d’approcher le papier autrement – peut-être avec un soupçon d’émerveillement, un moment suspendu de curiosité – la prochaine fois qu’ils et elles tiendront une feuille de papier entre leurs mains.
1 Biasi, Pierre-Marc de: Le papier, fragile support de l’essentiel, in: Les cahiers de médiologie 4 (2), Paris 1997, S. 7–17. Online: <https://doi.org/10.3917/cdm.004.0007>, consulté le 04.07.2024.
2 Druide informatique: Paper, in: Antidote Dictionnaire, consulté le 24.05.2024.
3 Voir, Gitelman, Lisa: Paper Knowledge. Toward a Media History of Documents, Durham 2014 ou Dourish, Paul: The Stuff of Bits. An Essay on the Materialities of Information, 2017. Online: <https://doi.org/10.7551/mitpress/10999.001.0001>, consulté le 04.07.2024.
4 Hunter, Dard: Papermaking. The History and Technique of an Ancient Craft, 1943. Sur l’histoire du papier, voir Fowler, Caroline O.: The Art of Paper. From the Holy Land to the Americas, New Haven 2019; Kurlansky, Mark: Paper. Paging Through History, New York 2016; Bloom, Jonathan M.: Paper Before Print. The History and Impact of Paper in the Islamic World, New Haven 2001; Da Rold, Orietta: Paper in Medieval England. From Pulp to Fictions, Cambridge 2020 (Cambridge Studies in Medieval Literature); Weber, Therese: The Language of Paper. A History of 2000 Years, 2008; Müller, Lothar: White Magic. The Age of Paper, Cambridge, UK 2015; Baker, Cathleen Ann: From the Hand to the Machine. Nineteenth-Century American Paper and Mediums. Technologies, Materials, and Conservation, Ann Arbor 2010; Pour des exemples en français, voir Polastron, Lucien X.: Le papier. 2000 ans d’histoire et de savoir-faire, Paris 1999; Laulhère, Catherine; Dubus, Thierry: III. Le papier, in: La fabrication, Paris 2012 (Pratiques éditoriales), S. 41–56. Online: <https://www.cairn.info/la-fabrication--9782765410133-p-41.htm>, consulté le 04.07.2024; Salmon, Xavier; Hundsbuckler, Victor; Noujai, Souraya: Histoires de Papier, Abu Dhabi 2022. To explore paper history through the archives, see for example: Les supports de l’écrit, BnF Les essentiels, <https://essentiels.bnf.fr/fr/livres-et-ecritures/formes-et-usages-des-livres/74c24a4a-ad1c-415e-918b-c8d336b4f3a6-supports-ecrit>, consulté le 04.07.2024.
5 Dover, Paul: The Information Revolution in Early Modern Europe. Cambridge University Press, 2021, p. 40.
6 Peters, John Durham: The Marvelous Clouds: Toward a Philosophy of Elemental Media. University of Chicago Press, 2015, p. 33. [Notre traduction]
7 Voir notamment, Barad, Karen: Meeting the Universe Halfway: Quantum Physics and the Entanglement of Matter and Meaning, Duke University Press, 2007; Bennett, Jane: Vibrant Matter: A Political Ecology of Things. Duke University Press, 2010; Carlile, Paul, Nicolini, Davide, Langley, Ann & Tsoukas, Haridimos: How Matter Matters : Objects, Artifacts, and Materiality in Organization Studies, Oxford University Press, 2013; Coole, Diana; Frost, Samantha: New Materialisms: Ontology, Agency and Politics, Duke University Press, 2010; Dolphijn, Rick & van der Tuin, Iris: New Materialism Interviews & Cartographies, Open Humanities Press, 2013; Parikka, Jussi: New Materialism as Media Theory : Medianatures and Dirty Matter, in: Communication and Critical/Cultural Studies, 9(1), p. 95‑100.
8 Innis, Harold: Empire and Communications. University of Toronto Press, 1950; McLuhan, Marshall: Understanding Media: The Extensions of Man. Signet Classics, 1964.
9 Kittler, Fridrich: Discourse Networks 1800/1900. Stanford University Press, 1990; Parikka, Jussi: What is Media Archaeology. Polity Press, 2012; Winthrop-Young, Geoffrey: Kittler and the Media. Wiley, 2013.
10 Cubitt, Sean: Finite Media: Environmental Implications of Digital Technologies. Duke University Press, 2017; Hu, Tung-Hui: Black Boxes and Green Lights: Media, Infrastructure, and the Future at Any Cost, in: English Language Notes 55 (1), 2017, p. 81-88; Parks, Lisa; Starosielski, Nicole, Eds.: Signal Traffic: Critical Studies of Media Infrastructures. University of Illinois Press, 2015; Peters, John Durham: The Marvelous Clouds: Toward a Philosophy of Elemental Media. University of Chicago Press, 2015.
11 Calhoun, Joshua: The Nature of the Page: Poetry, Papermaking, and the Ecology of Texts in Renaissance England. University of Pennsylvania Press, 2020; Derrida, Jacques: Paper Machine. Stanford University Press, 2005; Kasten, Kathleen: Writing Life: Paper as Symbol and Commodity in the Letters of the Marquise de Sévigné, in: Dalhousie French Studies (107), 2015, p. 77-85; Senchyne, Jonathan: The Intimacy of Paper in Early and Nineteenth-Century American Literature. University of Massachusetts Press, 2020.
12 Bajpai, Pratima: Recycling and Deinking of Recovered Paper. Elsevier, 2018; Baxter, Joan: The Mill: Fifty Years of Pulp and Protest. Pottersfield Press, 2017.
13 Bloom, Jonathan: Paper Before Print: The History and Impact of Paper in the Islamic World. Yale University Press, 2001; Coggan, Philip: Paper Promises: Debt, Money, and the New World Order. Penguin, 2012. Constable, Marianne. The Paper Shredder: Trails of Law, in: Law Text Culture 23 (1), 2019, p. 276-293; Stamm, Michael: Dead Tree Media: Manufacturing the Newspaper in Twentieth-Century North America, Johns Hopkins University Press, 2018.
14 Heesen, Anke te.: The Newspaper Clipping: A Modern Paper Object. Manchester University Press, 2014.
15 Ash, Jared: The Things Paper Carries, in: Art in Print 6 (5), 2017, p. 11-15.
16 Constable, Marianne: The Paper Shredder: Trails of Law, in: Law Text Culture 23 (1), 2019, p. 276-293; Vismann, Cornelia: Files: Law and Media Technology. Stanford University Press, 2008.
17 Hetherington, Kregg: Guerrilla Auditors: The Politics of Transparency in Neoliberal Paraguay. Duke University Press, 2011; Hull, Matthew S.: Government of Paper: The Materiality of Bureaucracy in Urban Pakistan. University of California Press, 2012; Pinker, Annabel: Papering Over the Gaps: Documents, Infrastructure and Political Experimentation in Highland Peru, in: Cambridge Journal of Anthropology 33 (1), 2015, p. 97-112.
18 Bittel, Carla Jean; Leong, Elaine; Von Oertzen, Christine, Eds.: Working with Paper: Gendered Practices in the History of Knowledge. University of Pittsburgh Press, 2019; Craig, Heidi: Rags, Ragpickers, and Early Modern Papermaking, in: Literature Compass 16 (5), 2019.
19 Pour le texte canonique voir, Gaskell, Philip: A New Introduction to Bibliography. Oxford University Press, 1972. Pour une perspective provenant du monde francophone, voir Varry, Dominique: La bibliographie matérielle: renaissance d’une discipline, in: 50 ans d’histoire du livre. Presses de l’enssib, 2014, <https://doi.org/10.4000/books.pressesenssib.2685>. Pour des ressources numériques, voir Institut d’histoire du livre, <http://ihl.enssib.fr/ressources-en-ligne>; Paper Through Time, <http://paper.lib.uiowa.edu/>.
20 Pour une liste de certaines associations nationales, voir International Association of Paper Historians, <https://www.paperhistory.org/National-org/>. Ces regroupements sont à l’origine de nombreuses collections, voir Max Planck Institute for the History of Science, < https://www.mpiwg-berlin.mpg.de/> qui a mené à la publication d’un livre du même nom, voir Bittel et al., voir note 18. Pour les Actes publiés des multiples colloques dédiés au papier voir, Centre de recherche Histoire culturelle et sociale de l’art (HiCSA) de l’Université Paris I, <https://hicsa.pantheonsorbonne.fr/collection-conservation-restauration-biens-culturels>.
21 Parmi les revues scientifiques dédiées au papier, voir IPH Paper History, <https://www.paperhistory.org/Publications/>; Book & Paper Group, <https://cool.culturalheritage.org/coolaic/sg/bpg/annual/>. Pour les numéros spéciaux, voir Pouvoirs du papier, in: Les Cahiers de médiologie, 1997, <https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-mediologie-1997-2.htm>; Paper Scarcity and its Impact on Print Culture/Historical Parallels with the Spectrum Scarcity Debate, in: Media History 21 (1), 2015. Pour les bibliographies, voir notamment AFHEPP, <https://afhepp.org/spip.php?rubrique17>.
22 Sansom, Ian: Paper: An Elegy. 4th Estate, 2013, p. 12. [Notre traduction]
23 Le groupe Paperology s’est d’abord réuni en 2020–2021 autour d’une liste de lecture, constituée par les éditeur·ices de cette anthologie. Une deuxième liste de lecture a été construite par Christina Corfield, Rebecca Rouse et Jenifer Monger, pour les rencontres du groupe en 2021–2022. Enfin, une troisième liste de lecture a été créée dans le cadre d’un séminaire de cycles supérieurs, Pages Blanches, à l’Université de Montréal, enseigné par Juliette De Maeyer et Aleksandra Kaminska en 2022 et 2023. Pour une archive de ces activités, voir le site de l’Artefact lab, <https://artefactlab.ca/paperology/>.
24 éritier, Françoise: Innovation, invention, découverte. Conférence inaugurale, Les Actes du FIG Géographie de l’innovation, 2001.
25 Berliner, Jonathan: Written in the Birch Bark: The Linguistic-Material Worldmaking of Simon Pokagon, in: PMLA 125 (1). Cambridge University Press, 2010.
26 Pour un aperçu accessible des différentes sortes de fibres qui peuvent servir à la fabrication du papier, voir Georgia Tech, < https://paper.gatech.edu/fiber-pulp>.
27 Pour des perspectives européennes du travail des chiffonnier·ères, voir Craig, Heidi: English Rag-Women and Early Modern Paper Production, in Wayne, Valerie, ed., Women’s Labour and the History of the Book. Arden, 2020, p. 29-46; Antoine Compagnon, Les Chiffonniers de Paris. Gallimard, 2017.
28 Innis, Harold: The Bias of Communication. University of Toronto Press, 1951. Sur le papier en particulier, voir Innis, Harold: The Coming of Paper, in: Intermédialités (17), 2011, p. 232-255, <https://doi.org/10.7202/1005761ar>.
29 Voir, Olszowy-Schlanger, Judith: Les archives médiévales dans la genizah du Caire: registres des tribunaux rabbiniques et pratiques d’archivages reconstituées, in: Afriques 2016.
30 Sellen, Abigail J.; Harper, Richard H. R.: The Myth of the Paperless Office. MIT Press, 2003.
31 Voir, Kafka, Ben: The Demon of Writing: Powers and Failures of Paperwork. Zone Books, 2012; Rule, John C.; Trotter, Ben S.: A World of Paper: Louis XIV, Colbert de Torcy, and the Rise of the Information State, McGill-Queen’s University Press, 2014; Hess, Volker; Mendelsohn Andrew: Case and Series: Medical Knowledge and Paper Technology, 1600–1900, in: History of Science 48 (3-4), 2010, p. 287-314, <https://doi.org/10.1177/007327531004800302>; Ogborn, Miles: Indian Ink: Script and Print in the Making of the English East India Company. University of Chicago Press, 2007.
32 Sur « El rey papelero » voir, Wickberg Månsson, Adam: Paper Fever: A Media History of Early Spain, in: Making Cultural History: New Perspectives on Western Heritage. Nordic Academic Press, 2013, p. 119-129; Fernández-Gonzáles, Laura: Philip II of Spain and the Architecture of Empire, Penn State University Press, 2021.
33 Dover, Paul: The Information Revolution in Early Modern Europe. Cambridge University Press, 2021, p. 5, 1.
34 Pour d’autres examples voir, Gruber Garvey, Ellen: Scissorizing and Scrapbooks: Nineteenth Century Reading, Remaking and Recirculating, in: New Media 1740-1915. Gitelman, Lisa; Pingree, Goeffrey B., eds. MIT Press, 2003; Peeling, Madeleine: Crafting Friendship: Mary Delany’s Album and Queen Charlotte’s Pocketbook, 2018. Journal 18, <https://www.journal18.org/nq/crafting-friendship-mary-delanys-album-and-queen-charlottes-pocketbook-by-madeleine-pelling/>; Kowalchuk, Kristine: Preserving on Paper: 17th C Englishwomen’s Receipt Books. University of Toronto Press, 2017; Park, Julie: Line Making as Life Writing: Graphic Literacy and Design in Eighteenth-Century Commonplace Books, in: Eighteenth-Century Life 48 (1), 2024, p.72-91; Eddy, Matthew Daniel: Media and the Mind: Art, Science, and Notebooks as Paper Machines, 1700–1830. University of Chicago Press, 2023.
35 Voir, Head, Randolph C.: Making Archives in Early Modern Europe: Proof, Information, and Political Record-Keeping, 1400–1700. Cambridge University Press, 2019.
36 Voir, Peters, Kate; Walsham, Alexandra; Corens, Liesbeth: Archives and Information in the Early Modern World, 2018. British Academy Scholarship Online, <DOI: 10.5871/bacad/9780197266250.001.0001>; Charmantier, Isabelle; Müller-Wille, Staffan: Carl Linnaeus’s Botanical Paper Slips (1767–1773), in: Intellectual History Review, 2014, p. 215-238.
37 Krajewski, Markus: Paper Machines: About Cards & Catalogs, 1548–1929. MIT Press, 2011; Blair, Ann M.: Too Much to Know: Managing Scholarly Information before the Modern Age. Yale University Press, 2011; Becker, Peter; Clark, William: Little Tools of Knowledge: Historical Essays on Academic and Bureaucratic Practices. University of Michigan Press, 2001; Jardine, Boris: State of the Field: Paper Tools, in: Studies in History and Philosophy of Science 64 (A), 2017, p. 53-63, <https://doi.org/10.1016/j.shpsa.2017.07.004>; Barton, Roman Alexander; Böckling, Julia; Link, Sarah; Rüggemeier, Anne: Forms of List-Making: Epistemic, Literary and Visual Enumeration. Springer International Publishing, 2022, < https://doi.org/10.1007/978-3-030-76970-3_1>.
38 Bower, Peter: Turner’s Papers: A Study of the Manufacture, Selection and Use of His Drawing Papers 1787–1820. London, Tate Gallery Pub, 1991.
39 Sur les possibilités étonnantes du pliage du papier, voir le travail de l’artiste Kelli Anderson sur son site: Tools & Process, <https://kellianderson.com>; voir aussi les travaux de recherche-création de Rebecca Rouse sur son site, <http://www.rebeccarouse.com/movable-books--paper.html>.
40 On peut donc penser le papier dans les logiques du travail de la main et du faire, à la suite des travaux, entre autres, du sociologue Richard Sennett ou de l'anthropologue Tim Ingold, voir, Sennett, Richard: The Craftsman. Yale University Press 2008; Ingold, Tim: Making: Anthropology, Archaeology, Art and Architecture. Taylor and Francis, 2013.
41 On pense par exemple aux pratiques à mi-chemin entre le jeu et les mathématiques, comme ces exercices de pliages géométriques, un divertissement encouragé par certains livres du XVIIe et XVIIIe siècles, voir Friedman, Michael; Rougetet, Lisa: Folding in Recreational Mathematics during the 17th–18th Centuries: Between Geometry and Entertainment, in: Acta Baltica Historiae et Philosophiae Scientiarum 5 (2), 2017, p. 5-34, <https://doi.org/10.11590/abhps.2017.2.01>.
42 À ce sujet, voir Calhoun, Joshua: This Book, as Long Lived as the Elements: Climate Control, Biodeterioration and the Poetics of Decay, in: The Nature of the Page: Poetry, Papermaking, and the Ecology of Texts in Renaissance England. University of Pennsylvania Press, 2020.
43 Voir, Solberg, Emma Maggie: Human and Insect Bookworms, in: Postmedieval: A Journal of Medieval Cultural Studies 11, 2020, p.12-22; Murphy, Brian Micheal: We the Dead: Preserving Data at the End of the World. University of North Carolina Press, 2022; Monger, Jenifer; Gobert, Tammy: The Perfect Storm: Weathering a Mold Bloom and Preparing for Disasters. Archival Outlook, 2020, <https://bluetoad.com/article/The+Perfect+Storm%3A+Weathering+a+Mold+Bloom+and+Preparing+for+Disasters/3725790/667849/article.html>.
44 Voir, Rosenberg, Joseph Elkanah: Paper Bombs: The Blitz and the Aesthetics of Salvage, in: Modernism/Modernity 26 (3), 2019, p. 455-481; Price, Leah: The Book as Waste : Henry Mayhew and the Fall of Paper Recycling, in: How to Do Things with Books in Victorian Britain. Princeton University Press, 2012, p. 219‑257; Butterworth, Emily: Apothecaries’ Cornets : Books as Waste Paper in the Renaissance, in: Modern Language Notes 133 (4), 2018, p. 891‑913.
45 Voir, the Centre for Ephemera Studies and Department of Typography & Graphic Communication, The University of Reading: Printed Ephemera from the Collection at the University of Reading, 2017, <https://a-z-ephemera.org/az_duos/a/>; Pour des revues spécialisées, voir The Ephemera Journal, <https://www.ephemerasociety.org/ephemera-journal/>; Le Vieux Papier, <https://www.levieuxpapier-asso.org/>; Pour une récente perspective sur l’étude des éphémères, voir Garner, Anne: State of the Discipline: Throwaway History: Towards a Historiography of Ephemera, in: Book History 24 (1), 2021, p. 244-263, <https://doi.org/10.1353/bh.2021.0008>; Des collections d'éphémères sont disponibles dans certaines archives, qui de plus en plus les rendent accessibles en version numérisées, voir John Johnson Collection of Printed Ephemera at the Bodleian Library, University of Oxford, <https://www.bodleian.ox.ac.uk/collections-and-resources/special-collections/catalogues/johnson>.
Créer le papier
Textes
La galaxie Tsaï-Loun
François Dupuigrenet-Desroussilles:
La galaxie Tsaï-Loun, in: Les cahiers de médiologie 4 (2), Paris 1997, p. 65–83.
Publié aux Cahiers de la médiologie, où sont régulièrement abordées les matérialités de la communication, l’article de François Dupuigrenet-Desroussilles accomplit avec aisance en quelques pages ce que des ouvrages entiers pourraient ne jamais réussir : une histoire du papier de la dynastie Tch’ou jusqu’au 20e siècle. Le spécialiste de l’histoire du livre italien dresse un portrait des lieux d’émergence, des modes de production et des réseaux de circulation et des usages du papier et du livre à travers les époques et les cultures. L’article débute et termine sur cette question : sommes-nous, à l’ère numérique, dans la “phase conclusive” du long cycle de vie du papier qui aura duré plusieurs siècles ?
Papermaking. The Historical Diffusion of an Ancient Technique
Jonathan M. Bloom:
Papermaking. The Historical Diffusion of an Ancient Technique, in: Jöns, Heike; Meusburger, Peter; Heffernan, Michael (Hg.): Mobilities of Knowledge, Cham 2017 (Knowledge and Space), p. 51–66.
Dans cet article, l’historien de l’art Jonathan M. Bloom décrit, dans un langage accessible, la diffusion de la fabrication du papier entre 600 et 1500. C’est un voyage qui débute en Chine, traverse l’Eurasie et la région méditerranéenne, pour ensuite arriver en Europe. Spécialiste de l’art islamique, l’auteur met bien en avant la contribution des mondes arabes à la fabrication du papier et à sa circulation mondiale. En traversant les siècles, les cultures et les géographies, l’article propose un tour d’horizon assez complet de tous les facteurs qui entrent en ligne de compte dans la production du papier en incluant notamment son rapport avec d’autres matériaux d’inscription tels que le papyrus ou le parchemin, les ressources et matériaux qui lui sont nécessaires (les fibres végétales ou les chiffons, mais aussi les sources d’énergie nécessaires pour faire fonctionner les moulins à papier), et les différentes variations des procédés de fabrication qui traversent sa riche histoire.
La question préalable . L’apparition du papier en Europe
Lucien Paul Victor Febvre, Henri Jean Martin:
La question préalable . L’apparition du papier en Europe, in: Febvre, Lucien Paul Victor; Martin, Henri Jean: L’apparition du livre, Paris 1958, p. 64–88.
Dans leur livre classique de 1958, L’apparition du livre, les historiens français Lucien Febvre et Henri Jean Martin commencent par ce qu’ils considèrent comme le “préalable” de l’essor de l’industrie typographique et du livre imprimé en Europe : le papier. Dans ce premier chapitre, ils s’intéressent plus spécifiquement au développement de la fabrication du papier en Europe. Le procédé, inventé en Chine et ayant traversé les mondes arabes, arrive en Europe au 12e siècle. En partant des premiers centres de fabrication de papier en Italie (dont celui bien connu de Fabriano), Febvre et Martin décrivent l’expansion de la production de papier entre le 12e et le 18e siècle, en exposant les ressources qui lui sont nécessaires : l’eau, les chiffons, mais aussi les chiffonniers, les réseaux commerciaux, et l’ensemble des acteurs qui constituent l’économie politique du papier et du livre.
Surface Reading Paper as Feminist Bibliography
Georgina Wilson:
Surface Reading Paper as Feminist Bibliography, in: Criticism 64 (3), 05.06.2023.
Georgina Wilson (St Michael's College, Université de Cambridge) explore de façon exemplaire dans ce texte la contribution que les études bibliographiques - "la première forme d'études textuelles intéressées aux matérialités" (p. 71) - peuvent apporter aux études sur le papier. Wilson souligne l'importance d'élargir l'étude des formes littéraires pour y inclure non seulement le texte écrit sur la page, mais aussi la fabrication de la page, c'est-à-dire le travail de production du papier lui-même. À travers l’étude du cas du folio Sejanus His Fall (1605) de Ben Jonson et l'histoire de ses filigranes, l’autrice attire notre attention sur les conditions de travail des papetiers et des chiffonniers qui ont fourni le matériau de base sur lequel le texte est écrit. Ce faisant, elle plaide en faveur d’une lecture de la surface en tant qu’une intervention critique et féministe dans le domaine de la bibliographie.
Why Is Writing Paper Blue?
Dena Goodman:
Why Is Writing Paper Blue? Colour and Fashion in Eighteenth Century Writing Paper, in: Corcy, Marie-Sophie; Douyère-Demeulenaere, Christiane; Hilaire-Pérez, Liliane (Hg.): Les archives de l’invention : Écrits, objets et images de l’activité inventive, Toulouse 2006 (Méridiennes), p. 537–546.
Dena Goodman, professeure d’histoire de l’université du Michigan, retrace ici l’histoire de l’émergence du papier à lettres de couleur bleue au 18e siècle et le contexte plus large de la guerre commerciale entre la France et les Pays-Bas dans la production de papier. Alors que le degré de blancheur du papier était un marqueur de qualité chez les producteurs français, l’industrie néerlandaise révolutionna le marché du papier en produisant un papier d’une qualité exceptionnelle. Les méthodes de production néerlandaises donnaient au papier une teinte bleuâtre qui bien vite en est devenue la marque distinctive. Cet épisode fascinant de l’histoire du papier montre bien comment un effet lié à la production en est venu à s’établir comme standard culturel et combien les qualités esthétiques du papier traduisent aussi des valeurs culturelles.
Rags Make Paper, Paper Makes Money
Jonathan Senchyne:
Rags Make Paper, Paper Makes Money. Material Texts and Metaphors of Capital, in: Technology and Culture 58 (2), 2017, p. 545–555.
On pourrait dire que peu d'objets en papier sont aussi mystérieux que le papier-monnaie, un papier qui acquiert une valeur particulière lorsqu'il est utilisé comme monnaie. Dans cet article, Jonathan Senchyne (Université du Wisconsin-Madison) part d'une caractéristique particulière des premiers papiers-monnaies, à savoir qu'ils étaient fabriqués, comme tous les papiers de l'époque, avec des chiffons. En associant l'histoire des technologies, la culture de l'imprimé, les études littéraires et l'histoire du livre, il propose une lecture de deux nouvelles du 19e siècle qui, en plaçant la matérialité du papier en leur cœur, révèlent la manière dont le papier peut devenir un moyen de comprendre le capitalisme. Ensemble, ces histoires présentent, selon Senchyne, deux facettes du papier en tant que technologie du capitalisme, l'une qui cache, et l'autre qui révèle quelque chose sur la production de la valeur.
Mediating the Tree
Aleksandra Kaminska, Rafico Ruiz:
Mediating the Tree. Infrastructures of Pulp and Paper Modernity in The Bowater Papers, in: Canadian Journal of Communication 46 (2), 24.04.2021, p. 315–343.
Cet article propose une lecture attentive des Bowater Papers, la publication interne de la Bowater Paper Corporation, l'une des plus grandes usines de pâte à papier du Canada dans les années 1950. Moins un catalogue de vente qu'un véhicule promotionnel pour l'industrie, les Bowater Papers comprennent une multitude d'articles sur le papier - anecdotes historiques, articles sur la fabrication, les arts et l'artisanat, les applications potentielles, pour n'en citer que quelques-uns - tous présentés de manière élaborée avec des illustrations en couleur, des encarts ou d'autres éléments. Afin de redonner au papier sa place dans les études sur les médias (en tant que ressource, technologie et infrastructure), et en réactualisant la notion de xylomédia pour capturer un environnement médiatique centré sur la bois, les auteurs soulignent l'aspect problématique d'une modernité de papier : l'impact environnemental dévastateur des usines de pâte à papier et des infrastructures de circulation du papier à forte intensité de carbone.
What We Can Learn From Books in the Digital Age
Michael Stamm:
What We Can Learn From Books in the Digital Age, in: Studies in Communication Sciences 23 (3), 09.12.2023, p. 311–320.
Michael Stamm, professeur à la Michigan State University, introduit dans ce texte une hypothèse intrigante pour l’histoire des technologies et des médias : et si trop d’emphase avait été mise sur les ruptures entre différents médias plutôt que sur les innovations au sein d’une même forme médiatique ? Pour répondre à cette question de recherche, Stamm revient sur certaines innovations dans la production de livres, adoptées notamment en réaction à la montée du mouvement écologiste dans la deuxième moitié du 20e siècle. Il y analyse les logiques commerciales et éthiques de livres portant sur des enjeux écologiques et ayant été produits sur des papiers produits avec un mode de production durable (nouveaux matériaux plus écologiques, pratiques de recyclage ou encore utilisation d’encres écologiques) et montre par là même la persistance du livre en papier à l’ère numérique et à une époque où la conscience environnementale est forte.
Suppléments
The Making of Japanese Handmade Paper
Ayun Halliday:
The Making of Japanese Handmade Paper. A Short Film Documents an 800-Year-Old Tradition, 5:40 min, Vimeo, 02.05.2016.
Une courte vidéo sur la production de papier washi dans la plus ancienne ville papetière du Japon, Kurotani, où la même méthode est utilisée depuis plus de 800 ans.
Les arts et les industries du papier en France
Marius Vachon:
Les arts et les industries du papier en France, 1871-1894, Paris 1894.
Cet ouvrage de la fin du XIXe siècle sur le papier et ses industries met l'accent sur la façon dont ce matériau était fabriqué. Il comprend des chapitres sur la fabrication du papier, les procédés de reproduction sur papier (impression, gravure, etc.) et les objets en papier (livres, journaux, affiches, papier peint, etc.). Illustré par des photographies des usines et des ateliers où chaque élément était produit, ce livre est un document historique autour de la production du papier.
La fabrication du papier
Gil LaRoche:
La fabrication du papier, 15 min, 1954.
Ce reportage de l’Office national du film (Canada) date de 1954, au moment où l’industrie papetière était à son zénith. Il montre les procédés de fabrication du papier journal à partir de bois, en visitant une usine de la papetière Bowater, située à Corner Brook, dans la province canadienne de Terre-Neuve. Les images évoquent toute l’étendue industrielle de la fabrication du papier et l’impressionnante machinerie qui lui est nécessaire. Dans une optique pédagogique, le reporter montre aussi le procédé en fabriquant de la pâte à papier dans une cuisine, avec des accessoires domestiques.
Le papier circule
Textes
The Paper Trade in Early Modern Europe: An Introduction
Daniel Bellingradt:
The Paper Trade in Early Modern Europe: An Introduction, in: The Paper Trade in Early Modern Europe. Practices, Materials, Networks, 2021, p. 1–27.
Ce chapitre introductif de l’ouvrage The Paper Trade in Early Modern Europe situe le caractère interdisciplinaire de la recherche historiographique sur le papier. Daniel Bellingradt, professeur à la Universität Augsburg et co-éditeur de l’ouvrage, souligne l’importance du papier aux débuts de l’époque moderne en Europe et affirme que “le papier était l'un des principaux artefacts de l'époque, un produit de masse disponible dans de nombreux formats et qualités pour une variété d'utilisations.” (p. 3, notre traduction). Bellingradt dresse ensuite un panorama de la littérature secondaire sur l’histoire de la communication, l’histoire du livre, l’histoire du papier, et l’histoire économique en présentant les contributions de ces champs à l’histoire de la circulation et du commerce du papier. L’auteur souligne enfin que peu de recherches ont été publiées sur le commerce du papier, malgré son importance, ce que l’ouvrage collectif propose justement d’aborder par le biais de ses pratiques et de ses matérialités.
Les archives manuscrites avouent !
Céline Gendron:
Les archives manuscrites avouent ! Papier d’écriture en Nouvelle-France au XVIIe siècle . Usages, usagers et catégories de documents, in: Archives 48 (1), 2019, p. 55–87.
Ce texte de Céline Gendron, tiré de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Montréal, repose sur la consultation et l’analyse de documents d’archives riches qui témoignent de l’utilisation du papier en Nouvelle-France au 17e siècle. Le support papier, sous plusieurs formes, devient le témoin d’activités administratives de communautés religieuses et politiques. Ce texte offre un récit inédit de la présence française sur le territoire nord-américain en la revisitant au prisme du papier, vecteur matériel essentiel au maintien de relations diverses.
Trade Cards in 18th-Century Consumer Culture
Philippa Hubbard:
Trade Cards in 18th-Century Consumer Culture: Circulation, and Exchange in Commercial and Collecting Spaces, in: Material Culture Review, 01.01.2012.
Le thème de la circulation du papier est au cœur de ce texte qui documente le phénomène des cartes commerciales en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis au 18e siècle. Longtemps négligées par les chercheur·euses, les cartes commerciales du 18e siècle témoignent de l’émergence de la culture de consommation moderne. Phillippa Hubbard les aborde à partir d’une perspective de culture matérielle, qui l’amène à analyser, dans son contexte socio-historique, leurs rôles, fonctions et les expériences sensorielles qu'elles permettent. Elle montre à l’aide d’un travail analytique rigoureux la multitude de réseaux — économiques, interpersonnels, domestiques et internationaux — qui sont traversés par les cartes commerciales.
Dead Letter Reckoning
Hester Blum:
Dead Letter Reckoning, in: Blum, Hester: The News at the Ends of the Earth. The Print Culture of Polar Exploration, 2019, p. 177–208.
News at the Ends of the Earth est un livre écrit par la professeure de littérature anglaise Hester Blum (Pennsylvania State University). La proposition de recherche est originale et fascinante : observer, à travers une réflexion sur ce qu’elle appelle les écomédias, l’ensemble des ephemera produits et utilisés par des explorateurs durant leurs expéditions dans l’arctique au 19e siècle. Le chapitre 4, Dead Letter Reckoning, analyse en particulier les missives, rédigées sur papier, laissées par les expéditions à divers endroits (dans des cairns ou des bouteilles) pour être lues dans le futur. Blum offre un traitement analytique riche d’une variété de documents dont la circulation, dans le temps et l’espace, était tributaire d’un environnement précaire.
Suppléments
Gossamer Network
Cameron Blevins, Yan Wu, Yan, Steven Braun:
Gossamer Network. A Companion Website to Cameron Blevins, Paper Trails. The US Post and the Making of the American West (Oxford University Press, 2021), 2021.
“Gossamer Network” est un site web qui vient compléter le livre de l’historien Cameron Blevins, Paper Trails : The US Post and the Making of the American West. Conçu comme un projet d’humanités numériques, le site présente une carte interactive du “Gossamer Network”, le nom donné à un réseau de services postaux américains chapeauté par le Gouvernement fédéral dans la deuxième moitié du 19e siècle. Le site web, dont la navigation peut se faire en choisissant l’un des huit chapitres, a pour fil conducteur une carte numérique des régions à l’ouest des États-Unis sur lesquelles sont superposées des informations sur la distribution des bureaux postaux sur ce territoire au cours de plusieurs périodes historiques. Les bureaux postaux sont ensuite croisés avec d’autres types de données, notamment l’établissement d’autres bureaux de l’administration américaine et les territoires ancestraux autochtones. Le site web cherche à rendre visible la dépossession des terres des communautés autochtones dans l’ouest des États-Unis, un processus qui s’est fait notamment par le biais de l'instauration de la poste et la circulation de documents en papier.
Trees to Tribunes
Wilding Picture Productions, Inc. Chicago:
Trees to Tribunes, 19:17 min, 1937.
Trees to Tribune est un court métrage industriel produit par le Chicago Tribune en 1937. Le film d’une vingtaine de minutes, en noir et blanc, présente les différentes étapes de la production du papier, débutant avec les lieux d’approvisionnement en arbres de l’entreprise, un territoire de deux millions d’hectares au nord du fleuve St-Laurent, dans la province de Québec, au Canada. Dans une logique d’exploitation des ressources naturelles propre à l’époque, le commenaire souligne l'apport soi-disant “perpétuel” en arbres que constitue ce territoire. Le film documente ensuite le travail et la vie quotidienne des bûcherons, le transport du bois par cheval, par flottage et par bateaux et les infrastructures nécessaires à la production de pâte à papier. Le film témoigne de discours portant sur la rationalité technique, la domination de la nature, et l’optimisation des processus de production caractéristiques du monde industriel occidental de l’époque.
Prize Papers Materiality: Practices
Akademie der Wissenschaften zu Göttingen:
Prize Papers Materiality: Practices, Göttingen, en cours.
Le Prize Papers Project explore les « Prize Papers », une collection stupéfiante de milliers d’artefacts trouvés à bord de 35 000 navires capturés, datant du milieu du XVIIe siècle jusqu'au début du XIXe siècle. Des chercheurs de l'Université Carl von Ossietzky à Oldenburg, en Allemagne, ainsi que des Archives nationales du Royaume-Uni, explorent de quelle manière ces objets et documents ont été manipulés et préservés, tout en documentant leur démarche de recherche sur un portail numérique. Le lien que nous suggérons comme point de départ renvoie à une section sur la matérialité des documents papier. Il montre comment l'équipe a mené ses recherches ainsi que leurs découvertes concernant les pratiques et formes du papier de l’époque, y compris les techniques de pliage à des fins de confidentialité et les pratiques de reliure de documents administratifs.
Organiser (avec) le papier
Textes
Administration I: The State, the Fact, and Double-Entry Bookkeeping
Liam Cole Young:
Administration I: The State, the Fact, and Double-Entry Bookkeeping, in: List Cultures, Amsterdam 2017, p. 67–84.
Dans ce chapitre tiré de son livre List Cultures, Liam Cole Young (Université Carleton) analyse le rôle essentiel des listes dans l'établissement de protocoles administratifs servant à contrôler les individus. Il jette un regard généalogique sur la liste en tant que “technique culturelle” de la modernité logistique, un moment historique qui, selon Young, privilégie les processus de réduction, de calcul et de circulation. Le chapitre s'articule autour de trois axes - l'état, les faits et les pratiques comptables - qui permettent tour à tour de retracer la montée en puissance d’outils administratifs (en papier) et la manière dont ils ont pris forme dans des formats documentaires.
Granular Certainty, the Vertical Filing Cabinet, and the Transformation of Files
Craig Robertson:
Granular Certainty, the Vertical Filing Cabinet, and the Transformation of Files, in: Administory 4 (1), 01.12.2019, p. 71–86.
Le travail du spécialiste des médias Craig Robertson est un exemple de recherche portant sur les outils d'organisation et le mobilier développés pour organiser les papiers, les informations et les connaissances. Dans cet article, il se penche sur l'objet par excellence de la vie de bureau, le classeur vertical, et montre comment il est constitué de multiples technologies de stockage en papier telles que les chemises, les cartes ou les index. L'objectif de ce système est de faciliter la recherche grâce à une logique que l'auteur appelle la “certitude granulaire”, un chevauchement optimal entre l'efficacité et l'information, rendu possible par la normalisation et la classification. Cette structure contribue également à l'histoire de l'information en facilitant l'atomisation des connaissances en unités extractibles, déplaçables et décontextualisées.
Collecting Knowledge for the Family
Elaine Leong:
Collecting Knowledge for the Family: Recipes, Gender and Practical Knowledge in the Early Modern English Household, in: Centaurus 55, 2013, p. 81–103.
Elaine Leong nous transporte dans ce texte dans les foyers du 17e siècle pour nous donner un exemple d'organisation des papiers en dehors de la bureaucratie et de l'administration. Dans l'introduction de son livre Recipes and Everyday Knowledge, elle offre un aperçu de ses recherches sur les multiples façons par lesquelles les connaissances sur le monde naturel étaient produites et partagées dans l’espace domestique. Cette pratique de la "science domestique" englobait tout, de la médecine aux matériaux en passant par la gestion de la maison, et s'inscrivait dans la "connaissance par les recettes" : "de courtes instructions codifiant le savoir-faire en matière de fabrication de toutes sortes de choses" (p. 4).
Couper, coller dans les manuscrits de travail du XVIIIe au XXe siècle
Claire Bustarret:
Couper, coller dans les manuscrits de travail du XVIIIe au XXe siècle, in: Michel, Albin (Hg.): Lieux de savoir 2: Les mains de l’intellect, 2011, p. 353–375.
Dans cette étude des pratiques analogiques du copier-coller dans les carnets et manuscrits d'écrivains du 18e au 20e siècles, Claire Bustarret se demande si quelque chose ne s'est pas perdu avec les opérations dématérialisées permises par l'informatique. Là où l'on coupait, collait, écrivait et ajoutait du papier, les traces de l'activité intellectuelle sont aujourd'hui proprement effacées, sans qu'aucun indice ne permette de suivre la généalogie d'un texte ou le mouvement des idées. Dans ce contexte pré-numérique, l'article s'interroge sur la manière de comprendre les gestes de découpage et de collage, notamment par rapport à la copie. Bustarret se penche sur la méthode de travail d'auteurs français célèbres - Montesquieu, Buffon, Proust, Barthes, entre autres. Enfin, elle affirme que le collage et le montage sont essentiels à l'écriture elle-même.
Passeport pour le Ciel
Julien Bonhomme:
Passeport pour le Ciel. Prophétisme et bureaucratie au Congo (1921-1960), in: Gradhiva. Revue d’anthropologie et d’histoire des arts (32), 24.03.2021, p. 124–143.
Julien Bonhomme examine de près certaines réalités du papier dans un site souvent négligé dans l'étude du papier, le cœur de l'Afrique. Centré sur le contexte colonial du Congo dans la première moitié du 20e siècle, alors sous domination belge, l'article soutient que l'écriture était utilisée pour légitimer le pouvoir religieux (à commencer par la Bible), mais aussi pour produire l'autorité de l'État par le biais de l'administration bureaucratique des documents. Au cœur de l'histoire se trouvent les "passeports pour le Ciel", des documents conçus par les groupes religieux et les prophètes anticolonialistes de la Mission des Noirs qui ont émergé au Congo à la suite de Simon Kimbangu en 1921. Ces passeports, utilisés pour attester de l'appartenance à un groupe religieux ou du libre passage au ciel, sont un exemple de l'institutionnalisation du prophétisme et de l'exercice bureaucratique de l'autorité de l'Église. Comme d'autres documents religieux, ils sont, selon Bonhomme, conçus pour imiter symboliquement et matériellement les documents d'État.
Suppléments
Paperwork Explosion
The Jim Henson Company:
Paperwork Explosion, 4:58, 1967.
Cette publicité réalisée en 1967 par Jim Henson (le créateur des Muppets) pour IBM aborde la paperasse d’un point de vue existentiel et… explosif.
Mapping Knowledge
Wouter van Acker:
Mapping Knowledge. The Visualizations of Paul Otlet, Archives of the Mundaneum by the Ghent University Library, 2011.
Cette exposition numérique porte sur l'ambitieux projet encyclopédique Mundaneum du Belge Paul Otlet (1868-1944), qui visait à cartographier le monde du savoir. L’exposition rassemble notamment les images produites par Otlet, et montre comment celles-ci proposent des synthèses visuelles dans la contrainte constante de la page de papier.
Manipuler le papier
Textes
Traditional Values and Modern Meanings in the Paper Offering Industry of Hong Kong
Janet Lee Scott:
Traditional Values and Modern Meanings in the Paper Offering Industry of Hong Kong, in: Evans, Grant; Tam, Maria (Hg.): Hong Kong. The Anthropology of a Chinese Metropolis, Honululu 1997.
Ce chapitre de Janet Scott Lee fait partie d'un livre sur l'héritage chinois de Hong Kong. L'autrice nous emmène dans les pratiques courantes de combustion du papier comme moyen rituel de faire le deuil d'un défunt. Ces offrandes de papier prennent la forme de produits de consommation tels que des voitures, des maisons, des téléviseurs, voire les formes les plus récentes de la technologie. Selon la croyance, en brûlant, les biens sont offerts aux morts, assurant leur confort dans l'au-delà. Scott Lee avance quelques raisons pour expliquer la popularité persistante de cette pratique, notamment le désir de maintenir la tradition chinoise et les connaissances artisanales, l'attente sociale d'un consumérisme qui perdure après la mort et une croyance profondément enracinée dans le soin apporté aux ancêtres. Lorsque les vivants brûlent avec diligence des offrandes de papier en guise de soins, ils espèrent également recevoir un peu de chance en retour.
Touching Sentiment
Christina Michelon:
Touching Sentiment. The Tactility of Nineteenth-Century Valentines, in: The Journal of Early American Life 16 (2), 2016.
Dans ce texte richement illustré, l’historienne de l’art Christina Michelon se penche sur l’art éphémère des cartes de Saint-Valentin. En s’intéressant à la production de ces cartes aux États-Unis entre 1840 et 1890, l’autrice révèle des tensions au cœur de leur production, entre standardisation et intimité, processus de fabrication industrielle et allusions au fait-main. Au-delà d’une histoire purement textuelle ou visuelle, l’article adopte une perspective centrée sur les significations matérielles. Il montre que c’est le caractère tactile de ces cartes qui importe, et que c’est leur matérialité qui les rend touchantes, plus que les messages qu’elles portent en guise d’inscription.
Potent Papers
Patricia Crain:
Potent Papers, in: Commonplace 9 (1), 2008.
La technologie du bulletin de vote a une histoire fascinante où se jouent plusieurs dispositifs épistémiques fondamentaux de systèmes politiques contemporains, comme l’authenticité, l’autorité et la légitimité. Patricia Crain, professeure à la New York University, revient dans ce court article sur l’histoire du bulletin de vote aux États-Unis au 19e siècle. Richement illustré, cet article jette un regard analytique sur plusieurs formats de bulletins de vote en montrant les interrelations entre leur valeur symbolique et leurs matérialités. Une liste bibliographique à la fin de l’article permet de renvoyer les lecteurs vers d’autres recherches sur cet objet, d’autres technologies de vote et le processus électoral plus généralement.
Pinning and Punching
Craig Robertson, Deidre Lynch:
Pinning and Punching. A Provisional History of Holes, Paper, and Books, in: Inscription:The Journal of Material Text – Theory, Practice, History, 19.10.2021.
L’intuition de départ de Pinning and Punching : A Provisional History of Holes, Paper, and Books soutient que la production de trous dans le papier, que ce soit en perforant ou en épinglant, modifie non seulement les relations que nous entretenons avec le papier, mais permet aussi de questionner les frontières du livre dont la fixité est, littéralement et métaphoriquement, ouverte par les trous. Les deux auteurs de cet article, Craig Robertson et Deidre Lynch, viennent de disciplines distinctes - les études de communication et la littérature anglaise - et cette interdisciplinarité est mise à profit dans un récit qui nous transporte de la première copie de l’édition de 1857 d’Aurora Leigh, aux brevets déposés pour les premières perforatrices jusqu’aux techniques de reliure de livre.
De la page blanche à la sculpture
Alexandre Melay, Valérie Morisson:
De la page blanche à la sculpture, les multiples formes de l’objet-livre - Entretien, in: Interfaces. Image Texte Language (45), 12.07.2021.
Dans cet entretien publié dans la revue Interface, consacrée notamment aux études sur l’intermédialité, l’artiste plasticien et chercheur-créateur Alexandre Melay plonge dans différentes déclinaisons de l’objet-livre qui traversent son œuvre. “Ni tout-à-fait livres, ni tout-à-fait objets”, ces œuvres cherchent à interroger la forme du livre. Qu’il s’agisse de “livre-édifice” ou de “livre-maquette”, les œuvres de Melay proposent différents détournements, jeux ou transgression autour de la forme attendue du codex (où le texte n’est pas nécessairement ce qui importe le plus) et interrogent les frontières du livre. L’entretien dessine, au gré de nombreux exemples, une version du livre comme objet sensible, que l’on touche et que l’on manipule, plus que comme support d’inscription.
Suppléments
Paper Worlds
Vanessa Warne, Jessie Krahnn and Anne Hung:
Paper Worlds (S1E6), Podcast Crafting Communities, Canada 2021.
Victorian Samplings est une série de podcasts créée et animée par les professeures Andrea Korda, Mary Elizabeth Leighton, et Vanessa Warne. Cette série, financée en partie par plusieurs universités canadiennes et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, est l’une des contributions de l’équipe en vue de la production de ressources éducatives sur les cultures matérielles du 19e siècle. L’épisode 6 de la saison 1, intitulé Paper Worlds, propose à différentes invitées de revenir sur certains des usages du papier durant l’époque victorienne, que ce soit les “petits livres” utilisés par Charlotte Brontë dans les années 1830, la collecte de chiffons par les classes populaires, l’utilisation et la production de papiers peints décorant les pièces destinées aux enfants ou encore les différents dispositifs matériels et les fonctions sociales des cartes de Saint-Valentin.
The Perfect Cut
Aleksandra Kaminska, Juliette De Maeyer:
The Perfect Cut. Talking with Myriam Dion, in: Inscription. The Journal of Material Text – Theory, Practice, History 2, 19.10.2021.
Cette entrevue avec l’artiste montréalaise Myriam Dion a été publiée dans la revue interdisciplinaire Inscription - The journal of material texts: theory, practice, history, qui consacrait ce numéro paru en 2021 au thème des trous. Dion s’est distinguée par ses œuvres de papiers découpés : elle y joue avec la matière et les motifs d’une manière sophistiquée, en sublimant des papiers parfois très anodins tels que les pages de journaux. Dans l’entrevue, elle aborde sa fascination pour les motifs – qui trouve racine notamment dans les traditions des arts textiles, du tissage et de la tapisserie –, le caractère répétitif et obsessif de son travail, et son jeu incessant avec les qualités physiques du papier qu’elle troue, découpe et perfore. C’est donc à travers la surface du papier que Dion créé, dans un rapport entre fond et forme patiemment planifié et exécuté.
Slicing the Page
Adam Smyth:
Slicing the Page. Christophe Leutbrewer and Raymond Queneau, TEXT!, 23.04.2022.
Dans ce court article de son blog Text!, l'historien du livre (et l'un des fondateurs de la revue Inscriptions) Adam Smyth compare deux livres conçus avec de nombreuses découpes horizontales sur chaque page. Le premier est un livre de confession catholique de 1658. Présentant de pages et de pages de péchés imprimés sous forme de liste, le livre servait à rappeler à son propriétaire ce qu'il devait évoquer lors de sa prochaine confession. La conception ingénieuse du livre permettait de le réutiliser, puisque la façon de marquer un péché était de le plier horizontalement de la marge vers l'intérieur : un pli pouvait être redressé une fois le péché absous, prêt à être plié à nouveau en cas de besoin. Le second est Cent mille milliards de poèmes, un livre publié par Raymond Queneau en 1961. Dans ce livre interactif, le lecteur choisit des combinaisons de bandes de texte prédécoupées, en choisissant l'une des dix bandes pour chacune des 14 lignes de la page. Le résultat est l'une des 100 000 000 000 000 variations poétiques possibles.
Le papier persiste
Texts
Diverse Shapes
Simon Werrett:
Diverse Shapes. Used Goods as Material Resources in Early Modern Sciences, in: Isis 114 (2), 2023, p. 407–412.
Ce texte met l’accent sur les multiples réutilisations du papier qui avaient cours aux 17e et 18e siècles. Plutôt que d’envisager la production du papier comme la production d’une matière première (avec ses logiques économiques extractivistes), l’historien des sciences Simon Werrett nous encourage à penser le papier comme un exemple de la logique de “l’oeconomie”, c’est-à-dire l’usage prudent et mesuré des ressources, incluant leur recyclage et leur réutilisation. La diversité des réutilisations du papier (lui-même issu du recyclage des chiffons), tant dans la sphère domestique que dans la sphère savante, en fait un matériau ouvert, porteur d’un ensemble d’usages et de significations indéterminées.
Analogue Privacy
Sarah Blacker:
Analogue Privacy: The Paper Shredder as a Technology for Knowledge Destruction, in: Bauer, Susanne; Schlünder, Martina; Rentetzi, Maria (Hg.): Boxes: A Field Guide, Manchester 2020.
Ce chapitre extrait de l’ouvrage collectif Boxes : a field guide est une “leçon de chose” portant sur la déchiqueteuse à papier. Le livre présente toutes sortes de boîtes sous une forme inspirée de l’histoire naturelle : ce chapitre présente donc la taxonomie, l’habitat et des éléments d’identification de cette “machine à fragmentation” qu’est la déchiqueteuse. En passant par l’histoire des deux inventeurs (aux États-Unis et en Allemagne) de la déchiqueteuse, le texte esquisse aussi une histoire du papier en tant que document, et de ses qualités qui en font un support de connaissance et dont la circulation, parfois considérée comme dangereuse, nécessite la mise en œuvre de moyens de destruction. En passant par des projets tels que l’initiative allemande ‘Stasi-Schnipselmaschine’ visant à reconstituer 16 250 sacs de fragments issus de documents détruits par la Stasi, le texte s’interroge finalement sur la tension entre une destruction définitive et une destruction incomplète.
La survie improbable
Malcolm Walsby:
La survie improbable : les livres sauvés par leur matérialité, in: La Revue de la BNU (21), 01.05.2020, p. 60–69.
L’historien du livre Malcolm Walsby explore dans cet article un paradoxe fascinant : c’est parce qu’ils ont été consciemment détruits que certains livres sont parvenus jusqu’à nous. Dans ce texte richement doté en exemples des 15e, 16e et 17e siècles, il montre comment certains livres et manuscrits ont été littéralement taillés en pièces et réutilisés dans d’autres livres : les précieuses feuilles de papier ou de parchemin pouvaient être utilisées pour renforcer les plats (les cartons servant de couverture d’un livre) ou servir de matériaux de reliure —l’utilité de leurs qualités matérielles dépassait donc celle de leur contenu. En filigrane, le texte laisse aussi apparaître le travail minutieux des chercheurs qui tirent le fil de ces indices cachés dans les reliures, les couvertures et les autres recoins des livres, pour reconstituer l’histoire d’autres livres à partir de ces infimes fragments.
Le papier permanent
Lucie Favier:
Le papier permanent, in: La Gazette des archives 155 (1), 1991, p. 268–274.
Publié dans un numéro spécial de la Gazette des archives portant sur la préservation et la restauration des documents sur papier, cet article de Lucie Favier, alors secrétaire générale des Archives nationales de France, rend compte des efforts de différentes instances de normalisation nationales et internationales pour codifier les caractéristiques d’un standard de “papier permanent”, c’est-à-dire un papier dont les qualités matérielles permettent de résister au processus de biodétérioration et d’assurer leur conservation sur une période prolongée. Le texte rend compte du processus d’élaboration de normes mené dans la fin des années 1980 au sein d’instances internationales telles que l’ISO et d’autres instances nationales et supra-nationales, où doivent se mettre d’accord des instances scientifiques, industrielles, et celles des usagers du papier.
Les éphémères, un continent à explorer
Olivier Belin, Florence Ferran:
Les éphémères, un continent à explorer, in: Colloque Fabula: Les éphémères, un patrimoine à construire, 2015.
Dans cet article publié dans des actes rendant compte des activités du collectif de recherche “PatrimEph - La patrimonialisation des éphémères” (2013-2016), Olivier Belin et Florence Ferran offrent une vue d’ensemble des défis intellectuels, pratiques et patrimoniaux que représente la catégorie des “éphémères”, ces objets en papier hétéroclites. Le texte aborde les traditions britanniques des ephemera et françaises des vieux papiers, et montre comment l’intérêt pour ces objets a été façonné par différentes disciplines, mais aussi sous l’impulsion de collectionneurs amateurs et de certaines institutions patrimoniales. En constatant des défis de définition et de terminologie importants, le texte propose une définition “positive” des éphémères, et rassemble les questionnements épistémologiques qu’ils posent à différentes disciplines des sciences humaines et sociales.
Suppléments
Panic at the Library
Brian Michael Murphy:
Panic at the Library. The Sinister History of Fumigating “Foreign” Books, Lapham’s Quarterly, 23.08.2022.
Dans cet extrait de son livre We the Dead : Preserving Data at the End of the World, l’archéologue des médias et essayiste Brian Michael Murphy (Bennington College, Vermont) prend comme point de départ une infestation d’insectes à la bibliothèque Huntington en 1928, et le désarroi du bibliothécaire et conservateur Thomas Marion Liams face aux dégâts que les ravageurs font à ses collections : les insectes dévorent le papier, mais aussi les reliures, la colle, les couvertures. L’article replace cette histoire dans le contexte des préoccupations hygiénistes du début du 20e siècle : les bibliothèques publiques déploient alors tout un ensemble de moyens pour assurer des nouveaux standards de “pureté” : désinfection, mise en quarantaine de livres et de personnes, fumigations chimiques… Pour protéger ses livres des insectes, le conservateur Liams met donc au point des chambres à gaz et cuves de fumigation (incluant des expérimentations avec le funeste Zyklon B) pour débarrasser les livres des nuisibles.
Fingerprints and Pulp
Maureen Flint:
Fingerprints and Pulp. Nomadic Ethics in Research Practice, Maureen Flint, 2020.
Pour son œuvre “Fingerprints and pulp”, la chercheuse et artiste Maureen Flint (Université de Georgia) a fabriqué du papier recyclé à partir de sa thèse de doctorat. Son processus de recherche-création passe par la destruction du papier (il s’agit de découper, faire tremper, malaxer et réduire en pâte les pages de sa thèse) pour faire émerger une nouvelle forme, qui soulève des questions quant aux enjeux de représentation et d’éthique dans son processus de recherche qualitative. Dans la malléabilité de la pâte à papier, ses trous, ses défauts et sa non-linéarité, elle interroge aussi sa responsabilité envers les participant·es qui ont partagé les expériences et les histoires peuplant ses travaux.